30 avril 2024
LE MACRONISME EST UN ILLIBÉRALISME par Semal
Pour les partisans de la droite dite « libérale », les libertés individuelles et publiques sont, en principe, le cœur même de leur doctrine. Et « la liberté d’entreprendre » (et surtout de s’enrichir) ne serait ainsi pour eux qu’une sorte de « déclinaison économique » d’une philosophie plus générale. Cette droite-là, souvent « progressiste » pour les questions sociétales, et cosmopolite dans son rapport au monde, a historiquement pu partager avec la gauche quelques combats essentiels – comme le suffrage universel, la liberté de circulation ou le droit à l’avortement.
Mais il existe une autre droite, la droite conservatrice, pour qui défendre un certain ordre social, religieux et moral, a toujours primé sur toute autre considération – hormis évidemment la défense de ses propres intérêts financiers.
Volontiers xénophobe et autoritaire, cette droite-là s’allie sans vergogne avec l’extrême-droite nationaliste chaque fois que les rapports de force l’y poussent et l’y contraignent. Illustration avec ce qui se passe aujourd’hui en France.
On aurait initialement pu imaginer qu’Emmanuel Macron appartenait à la droite libérale. On l’imaginait même, pauvres de nous, au centre gauche ! Or il s’affirme de plus en plus comme le chef de file de la droite la plus réac – et ce transformisme idéologique n’est pas pour rien dans l’actuelle dérive de la classe politique française.
Venu du gouvernement de François Hollande, on pensait au moins Macron attaché à un semblant d’équité sociale. Mais dès la première seconde de son mandat, il a supprimé l’impôt sur la grande fortune, et n’a jamais privilégié depuis que les très, très, riches – dont le patrimoine a plus que doublé sous son règne. Banque Rothschild un jour, banque Rothschild toujours !
Personnalité transgressive à la vie romanesque (tout le monde n’épouse pas son prof de français), qui appelait son livre-programme « Révolution » et qui posait à l’Élysée, à la Fête de la Musique 2018, à côté de grands blacks torses nus en bas résille, Macron prétendait à l’origine « dépasser les frontières de la gauche et de la droite ». Son « personnel politique » de proximité venait d’ailleurs à la fois du PS, du centre et du parti libéral.
Mais il n’a finalement jamais « transgressé » que les valeurs de la gauche, et s’est progressivement employé à restreindre les libertés publiques en France – en se déportant politiquement toujours plus à droite.
Élu à deux reprises « pour faire barrage à Le Pen », il vient par exemple de faire promulguer une xième « loi immigration », qui reprend pour l’essentiel le programme du Rassemblement National. Les députés marinistes l’ont d’ailleurs votée à l’unanimité.
Élu « par défaut » face au repoussoir Le Pen, sans avoir jamais eu ni de majorité sociologique, ni, depuis 2022, de majorité politique, Macron a néanmoins toujours tenté de faire passer son programme « en force », à coups de matraques, de tirs de LBD et de 49.3. Même sans majorité parlementaire. Même lorsque le peuple et l’ensemble des syndicats étaient par millions dans la rue, vent debout contre « sa réforme » des retraites – et qu’il avait lui-même assuré, pendant sa campagne électorale, « qu’il n’y toucherait pas ».
Pendant son premier mandat, après avoir fait éborgner pendant des mois quelques dizaines de Gilets Jaunes, pour un bilan global de 25.800 civils blessés, 10.718 gardes à vue, et un millier de manifestants condamnés à des peines de prison ferme, Macron avait ensuite lancé dans tout le pays un prétendu « Grand Débat National ». Qui consistait en fait à monologuer pendant des heures en bras de chemise devant des assemblées de notables triés sur le volet.
Et à solliciter parallèlement des milliers de « cahiers de doléances », dont il n’a strictement rien fait, que jamais personne n’a lus, et qui ont tous intégralement fini à la poubelle.
Voilà l’exercice de la « démocratie » selon Emmanuel Macron : l’art de noyer le poisson avant de le passer au four ! Du mépris, de la frime et du bla-bla.
Sur le plan policier et judiciaire, les choses ne se sont vraiment pas arrangées non plus.
Suite au traumatisme des attentats islamistes de Charlie-Hebdo et du Bataclan, un certain nombre de mesures anti-terroristes avaient été prises en urgence par François Hollande. On peut discuter de leur contenu concret, mais il était normal que la société française tente ainsi de se protéger contre ces horreurs.
Par contre, un des premiers gestes de Macron a été d’inscrire les dispositifs de ces « lois anti-terroristes » dans la loi générale – malgré les mises en garde répétées de diverses associations de la société civile.
Qu’est-ce qui garantissait en effet que ces lois répressives et leurs méthodes d’investigation invasives ne soient pas utilisées ensuite contre des syndicalistes, des écologistes ou des opposants politiques ? Et c’est ce qui s’est effectivement passé.
Darmanin, qui est décidément le maillon manquant entre la droite et l’extrême-droite, a par exemple tenté de dissoudre « Les Soulèvements de la Terre », après leur grande manif contre une méga-bassine à Sainte-Soline, en inventant le fumeux concept « d’écoterrorisme ». Cette dissolution a été annulée depuis par le Conseil d’État.
Des syndicalistes ont été inquiétés en vertu des mêmes dispositifs légaux – notamment dans les aéroports. Et ceux-ci ont encore été renforcés par « la loi contre le séparatisme » de 2021.
Mais c’est avec le conflit israélo-palestinien, et particulièrement depuis le pogrom du Hamas du 7 octobre, et les massacres de l’armée israélienne en cours à Gaza, que le macronisme semble avoir totalement basculé dans « l’illibéralisme ».
Mathilde Panot, députée et cheffe du groupe parlementaire de « La France Insoumise / NUPES » à l’Assemblée Nationale, vient par exemple de recevoir une convocation dans le cadre d’une enquête judiciaire pour … « apologie du terrorisme » ! Ils et elles seraient une quarantaine dans ce cas (dont Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon, Danielle Obono et la juriste franco-palestinienne Rima Hassan, candidate en 7ème position sur la liste LFI/Union Populaire de Manon Aubry).
C’est un détournement éhonté de la loi, car aucun d’eux n’a évidemment jamais fait « l’apologie du terrorisme ». Par contre, il s’agit très clairement de criminaliser toutes les formes de solidarité avec le peuple palestinien, alors même que l’ONU, la Cour Pénale Internationale et de très nombreuses ONG ont dénoncé le caractère génocidaire des bombardements civils en cours à Gaza.
La ville de Gaza, totalement rasée, a déjà le même visage qu’Hiroshima. Une bombe atomique sans bombe atomique.
À noter que ces auditions par la police française font suite aux plaintes déposées par l’Organisation Juive Européenne (OJE) et la Jeunesse Française Juive (JFJ), deux organisations qui ne cachent pas leur soutien inconditionnel à Israël. Et voilà comment le gouvernement Netanyahu instrumentalise la justice française pour tenter de briser toutes les formes de solidarité avec le peuple palestinien.
Il n’y a d’ailleurs pas que ces procédures judiciaires-là. Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, parle « d’un contexte de répression inédit depuis l’après-guerre » (Médiapart, « À l’air libre », 26 avril 2024 – voir l’émission ci-dessous) et de poursuites judiciaires qui concerneraient actuellement « un millier de militants de la CGT ».
Ce sont aussi trois conférences de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan interdites, en pleine campagne électorales, par des préfets ou des autorités académiques, ou des manifestations comme « La marche contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection de tous les enfants » du 21 avril, interdite d’abord par le préfet de Paris, Laurent Nunez, avant qu’un Tribunal ne l’autorise in extremis, estimant que cette interdiction portait « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation ».
Si au moins, face à cette atteinte massive contre les libertés publiques, la presse et les médias jouaient leur rôle de 4ème pouvoir ! Mais c’est exactement l’inverse qui se passe. Dans tous les médias mainstream, une trentaine d’éditocrates en roue libre poussent au contraire à la charrette.
Il ne se passe pas une heure sans que les noms de la France Insoumise et de Jean-Luc Mélenchon ne soient ainsi systématiquement associés à l’adjectif infamant « d’antisémite ». Le mensonge s’installe tranquillement dans le paysage médiatique, par simple effet de répétition, et fini par s’imposer sur les plateaux comme une « vérité », quand bien même cette épithète diffamatoire n’est jamais illustrée par aucun fait ni aucune déclaration.
Si Pascal Praud est très doué dans cet exercice, la palme de l’ignoble revient incontestablement à Christophe Barbier, et surtout à Éric Naulleau, qui vient de consacrer un livre polémique à Jean-Luc Mélenchon, et a entrepris de déposer sa petite crotte promotionnelle sur tous les plateaux.
Dans « On n’est pas couché », Naulleau avait parfois pu apparaître comme le pendant « progressiste » d’Éric Zemmour. On s’aperçoit aujourd’hui qu’il s’agissait en fait d’un numéro de duettistes, et que les deux compères étaient en fait sur la même ligne ultra-réac. En terme « d’analyse politique », les propos de Barbier et Nalleau sont pour moi complètement délirants. Mais alors là, complètement. Et le « journaliste » qui les interviewe n’est pas en reste. Écoutez plutôt.
Ch. Barbier : « Je valide l’analyse d’Éric sur l’importation et la manipulation du conflit israélo-palestinien pour mettre le feu à la France. C’est un calcul politique de Jean-Luc Mélenchon ».
E. Naulleau : « Christophe Barbier parle d’or. La logique ultime du mélenchonisme, c’est la guerre civile. C’est la république contre une coalition de barbus, de nervis et de petits voyous, c’est-à-dire tous les gens qu’ils ont encouragés au fil des années pendant les émeutes et les manifestations. Ils sont fascinés par trois figures dont la comparaison est assez inquiétante dans un pays comme la France : le délinquant, le révolutionnaire et le mollah intégriste. Ce sont leurs trois héros.
Oui, je suis très inquiet, parce que leur outil principal de conquête du pouvoir devient l’antisémitisme. Antisémitisme dont Jean-Luc Mélenchon pratique toutes les nuances. C’est la clé de voûte de tout ».
Ch. Barbier : « C’est une gauche qui a perdu sa boussole, qui a perdu son courage, qui n’a plus de leader non plus, l’hypocrisie, la lâcheté, cela vient aussi du fait qu’il n’y a pas de chef qu’on peut suivre, ce sont des animaux dominés dans un troupeau où le mâle dominant, c’est Jean-Luc Mélenchon ».
Alexandre Devecchio (journaliste au Figaro et à Sud Radio) : « Je vais vous poser une question un peu provocatrice, mais est-ce que la gauche républicaine, aujourd’hui, ce n’est pas Marine Le Pen ? Ce n’est pas elle qui est aujourd’hui la plus proche des électeurs de gauche ? »
E. Naulleau : « J’étais récemment dans une radio communautaire que Christophe Barbier connait bien (NDLR : Radio J, où Barbier anime une émission théâtrale). La journaliste me demande : Pensez-vous que le Rassemblement National représente un danger pour les Juifs ? La réponse est non. Pensez-vous que la France Insoumise représente un danger pour les Juifs ? La réponse est oui » (interview longuement citée dans l’émission « L’œil de Moumou » sur « Le Média », 24 avril 2024).
Ça va ? Vous n’avez pas vomi votre petit déjeuner ? S’il ne fallait prendre qu’un exemple de l’état « pré-fasciste » de la France, je choisirais ce « dialogue » sur Sud Radio.
Tout y est : confusion idéologique totale, phantasme de guerre civile, criminalisation de l’opposition républicaine, et présentation de Marine Le Pen comme « recours » face à ces « menaces ». Entre Blum et Hitler, ceux-là ont déjà choisi.
À croire que ces deux « journalistes », dont le métier est en principe de s’informer et d’informer, n’ont jamais lu ni le programme de la France Insoumise et de la NUPES (qui est à mes yeux un exemple d’humanisme, respectant à la fois la planète, les animaux et les gens), ni le programme du Rassemblement National (qui prévoit par contre l’apartheid et la déportation pour les trois millions d’étrangers qui vivent en France – et qui a été créé par un mec pour qui les chambres à gaz étaient « un détail » de l’Histoire).
Ceci explique aussi pourquoi, pour des raisons sanitaires, je ne regarde plus les médias mainstream. Ils me rendent doublement malades. Parce que ces conneries déblatérées à longueur d’antenne me tapent vraiment sur les nerfs.
Mais aussi, par empathie, parce que j’imagine l’état mental des malheureux auditeurs qui n’auraient que ces clowns sinistres comme seules « sources d’information ».
Cela ne m’empêche évidemment pas de m’informer, qui plus est de façon contradictoire : je lis même le Figaro ! Mais pour écouter de « vrais » débats, avec de vrais journalistes et de vrais gens, je vous invite plutôt à vous abonner à des sites d’information comme Médiapart, Le Média ou Blast, ou à regarder « L’Émission Populaire » sur Youtube. Il y a évidemment d’autres médias alternatifs. Moi, c’est ceux-là.
Et si vous avez une ou deux heures à gagner, vous trouverez ci-dessous quelques-unes de leurs émissions. Vous verrez, ce n’est pas vraiment le même ton, ni le même panel ;-).
Et je laisse d’ailleurs la parole finale à Chrystelle Chatelain, la cheffe de groupe des Verts à l’Assemblée Nationale, qui intervenait au cours d’un très intéressant débat à l’émission « Air Libre » de Médiapart (que vous pouvez également découvrir ci-dessous).
Cela me rappelle enfin qu’à sa très modeste échelle, « l’Asymptomatique » s’efforce lui aussi de faire entendre un autre son de cloche, et de vous informer « autrement ». Merci donc à celles et à ceux qui s’y abonnent et s’y réabonneront. Ding-dong (je fais l’autre son de cloche).
« On est face à une attaque sans précédent de toutes nos libertés fondamentales. C’est extrêmement dangereux. On est dans une bataille culturelle qu’on ne peut gagner qu’unis, mais qui est absolument indispensable. Là, nous sommes sur une pente qui mène à un régime illibéral, et qui prépare l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir » (Chrystelle Chatelain, sur Médiapart, 25 avril 2024).
Claude Semal, le 27 avril 2024
Pas de commentaires