17 octobre 2023
LA FACIR A FÊTÉ SES DIX ANS
La Fédération des Auteurs Compositeurs et Interprètes (FACIR) vient de fêter son dixième anniversaire à la Tricoterie – à l’endroit même où, en 2013, elle avait organisé les Premiers États Généreux de la Musique.
Plus de 200 personnes étaient alors venues écouter une quarantaine d’intervenants, représentants tous (?) les styles musicaux et tous les métiers de la Musique, dans une ambiance plutôt effervescente, revendicative et festive.
Avec la chanteuse Aline Dhavré, je m’étais fort investi dans l’organisation pratique de la chose, et j’avais terminé la soirée en buvant des coups avec Axel Bauer – une des très improbables rencontres de ma vie.
Il montait alors une assos de musicos en France, la “GAM”, et il était venu voir en voisin ce que nous faisions à Bruxelles – avant de rentrer la nuit même pour Paris.
Il a coulé beaucoup d’eau sous les ponts depuis, et cela fait quelques années que j’ai personnellement raccroché les gants.
Le/la FACIR (une fédération transgenre avant la lettre, qu’on a toujours hésité à mettre au masculin ou au féminin…) a aujourd’hui deux permanent·es, Fabian Hidalgo et Sarah Roulet, un conseil d’administration (Biche de Ville, Pauline Leblond, Philippe Cloes, Pablo Fleury, Joaquim Caffonnette et Stan Bourguignon) et représente les musicos dans toutes les instances de décisions où ils doivent être représentés.
Lundi passé, l’ambiance était donc nettement plus cosy qu’il y a dix ans, et une cinquantaine de membres et sympathisants ont sagement écouté six intervenants (Greta Vecchio, bookeuse, Eve Decampo, directrice du 210, Catherine Graindorge, musicienne, Konoba, musicien, Toine Tijs, saxophoniste et Karine Germaix, accordéoniste) avant d’écouter dans la foulée deux concerts de Garance Midi et Junn.
Si vous êtes musicos, allez taper un oeil sur le site et faites-vous membre !
Mais signe des temps, si vous cliquez sur le groupe de travail « emploi », le message qui s’affiche est « Oups ! Cette page n’existe pas » (hihi).
Comme je serais bien en peine par ailleurs de vous dire quelles sont aujourd’hui les revendications concrètes du FACIR, et comme il est encore un peu trop tôt pour faire un bilan du nouveau « statut d’artiste », je vous propose plutôt une séquence « souvenirs, souvenirs » sur la base des « États Généreux » de 2013. Back to the futur !
Claude Semal, le 18 octobre 2023.
Voici le texte de mon introduction en 2013, suivi du texte de conclusion de Paul Herman, et en guise de cadeau Bonux, un petit clip de « propagande » sur les absurdités de l’ONEM tourné à l’arrache par le FACIR avec les camas Serge Larivière et John Dobrynine, un reportage de 5′ d’Air TV sur les États Généreux, et une vidéo qui reprend mon intervention et le premier panel de témoignages. Les quatre autres se trouvent facilement sur Youtube.
EN GUISE D’OUVERTURE ET D’INTRODUCTION par Claude Semal
Chers amis,
Bienvenue à tous et à toutes.
Au nom du FACIR, la jeune fédération des auteurs, compositeurs et interprètes réunis, j’ai le privilège d’ouvrir ces premiers états généreux de la musique.
Pourquoi « fakir » ? Depuis des dizaines d’années, les musiciens jouent pour des clous, avalent des couleuvres et marchent sur des lames de rasoir. Peut-être pourrons-nous réaliser ce soir, en lévitation collective, un nouveau miracle du fakirisme : apprendre à nous parler, entre toutes les tribus musicales, et à nous organiser, entre tous les secteurs de nos professions.
Ces états généreux surgissent en effet au moment où la musique traverse chez nous une crise qui est à la fois technologique, économique, sociale et politique.
1/ La Belgique francophone est un petit pays culturellement colonisé qui importe 95% de ses livres, films et musiques. Comment développer notre marché intérieur ? Car si nous voulons jouer dans le monde entier, nous voulons aussi pouvoir vivre et travailler au pays.
2/ Des pans entiers de nos créations musicales et de notre patrimoine sont complètement évacués de nos antennes radio et télé. Comment, au contraire, rendre compte de la diversité et de la richesse de notre vie culturelle ?
3 /Le marché mondial du disque a perdu la moitié de son chiffre d’affaires en dix ans, alors que, sur le Net, se développent les ventes « en ligne » et de nouveaux espaces d’expression où la musique circule gratuitement. Comment vivre et traverser cette révolution technologique ?
4/ Les politiques d’austérité imposées par l’Union Européenne pénalisent doublement la culture et la musique : directement, par la diminution des budgets culturels, et indirectement, par la compression du budget des ménages. Comment néanmoins refinancer le secteur musical ?
5/ Le statut «d’intermittent du spectacle », conquis de haute lutte par nos aînés, est systématiquement remis en cause, en France comme en Belgique, et se transforme souvent chez nous en véritable« chasse aux chômeurs ». Comment protéger et défendre nos droits sociaux ?
6/ Enfin, cette crise économique et sociale se double chez nous d’une profonde crise politique et institutionnelle. Vous le savez : c’est l’existence même de la Belgique qui est aujourd’hui remise en cause par l’autonomisation croissante de la Flandre. Or, si Bruxelles et la Wallonie devaient demain se réinventer un avenir commun, les artistes auront un rôle central à jouer dans la construction d’un imaginaire collectif. On ne bâtira pas une nation sur un vide culturel.
Or j’ai ici quelques chiffres particulièrement alarmants. Le Syndicat des Editeurs Phonographiques de France vient en effet de publier son étude 2012 sur l’économie mondiale du disque et sur le poids des « répertoires locaux » dans chaque marché national. Sans surprise, il est de 93% aux USA et de 92% au Japon. Mais aussi, de 59% en France, de 54% en Italie, de 51% au Royaume-Uni, de 47% en Suède et en Espagne. Si l’on reste dans une fourchette de 32-38% en Flandre, on tombe entre 4 et 8% en Fédération Wallonie Bruxelles. Pour résumer, nous écoutons vingt fois mois nos artistes que les Américains, dix fois moins que les Italiens et les Suédois, et six fois moins que les Belges de Flandre. Et voilà pourquoi votre fille est muette.
Prenons un autre indicateur : le « Top 20 » des albums vendus en Flandre et en Wallonie sur la période 2009-2013. Il y a 38 artistes flamands dans ce « Top 20 » en Flandre, ce qui témoigne, à la fois, de l’existence d’un vrai marché intérieur et de la vitalité d’une « scène flamande ». A contrario, il n’y a que huit artistes de la FWB dans le « Top 20 » wallon. C’est toute la différence entre une nation qui émerge et un pays qui s’évapore. Et qu’on ne s’exclame pas : Oui mais la France ! La France ! Le marché Français ! Parce qu’au Québec, les amis, pays francophone cousin du nôtre, il y a 60 artistes québécois dans ce même classement. Et voilà pourquoi votre fils est sourd !
Si j’étais un responsable culturel de la Fédération Wallonie Bruxelles, à la lecture de ces seuls chiffres, j’aurais depuis longtemps sauté par la fenêtre comme un banquier en 1929. Pas du tout. Tout le monde se congratule sur le pont du Titanic et dans les couloirs du Botanique comme des supporters des Diables Rouges dans l’avion pour le Brésil.
Hourra ! The Voice Belgique a fait 25% de part de marché ! Et voilà le karaoké géant d’Endemol devenue la principale vitrine culturelle de la télévision publique.
Hourra ! Les « Nuits Bota » ont programmé une « Nuit Belge » électro pop en vingt-et-un jours de programmation !
Mais imagine-t-on, en Irlande ou en France, un festival national de trois semaines programmer une « nuit irlandaise » ou une « nuit française » ? Cela ferait rire tout le monde. Chez nous, non. C’est normal. Et voilà pourquoi nos enfants sont aveugles !
Eh ! bien, les amis, rien ne nous condamne à rester perpétuellement sourds, muets et aveugles, si ce n’est notre propre indifférence à nous-même.
Rien ne nous condamne à vivre en exil dans notre propre pays, si ce n’est notre incapacité à faire entendre nos voix multiples.
Rien ne nous oblige à vivoter aux pieds de nos maîtres, si ce n’est notre étrange passion pour l’esclavage.
Mais ce que notre indigence collective, a pendant des années, laissé faire, notre volonté et notre intelligence collectives peuvent aussi demain le changer.
Seuls, nous ne sommes rien. Ensemble, nous pouvons tout. C’est le sens de ces États Généreux.
Dans ce pays qui a commencé par une chanson « muette » — ça ne s’invente pas —, l’histoire nous dira s’il ne s’agit que d’un feu de paille, ou, au contraire, du début de l’insurrection poétique et civique que nous appelons dans les cœurs et dans les esprits.
Bon travail à tous.
Vive les États Généreux… et en avant la musique !
Claude Semal, 20 juin 2013
DES ÉTATS GÉNÉREUX par Paul Herman
Permettez-moi, au terme de cette soirée historique — et pour saluer aussi la présence de nos amis français de la GAM, j’adore dire « nos amis français » — de citer l’abbé Sieyés qui, juste à la veille des États Généraux de 1789 avait écrit un truc sur le tiers-État… `Et qu’est-ce qu’il disait, l’abbé Sieyés ? Quelque chose qui pourrait nous inspirer…
Il écrivait : « Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’ici dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? A y devenir quelque chose…
Hé bien voilà que nous pourrions dire la même chose :
« Qu’est-ce que les États Généreux de la musique ? Tout. Qu’ont-ils été jusqu’ici dans l’ordre culturel ? Rien. Que demandent-ils ? A y devenir quelque chose. Et on va dire tout de suite que le nom d’États Généreux est parfaitement approprié, le FACIR ne s’y est pas trompé : le mot généreux dans son étymologie signifiait ce qui était capable d’engendrer, c’est-à-dire donc de générer.
Et on a bien compris ce soir que beaucoup de choses tenaient à la transmission.
La transmission est un de ces mots en « ion » qui pourrait permettre d’offrir une résistance — pour reprendre au début de notre rencontre, pour revenir da capo — à ces autres mots en « ion » dont nous parlions : à la colonisation culturelle, à l’évacuation médiatique, à la diminution des subventions, à l’autonomisation des Régions… Toutes choses qui provoquent donc comme on l’aura compris : une sous représentation, un sous rétribution et une sous médiatisation, c’est-à-dire pour nous qui sommes francophones mais pas Français, une souffrance…
Et je me disais —j’ai vite calculé — que le rapport du cachet caché payé aux musiciens dans cette communauté si on le compare à des pays voisins est à peu près proportionnel au pourcentage du répertoire local dans les médias et dans les top 20 dont Claude Semal parlait tout à l’heure. Il semble qu’il existe donc un rapport assez simple à faire…
J’ai lu sur le programme que j’étais chroniqueur ex RTBF… En fait, je tiens toujours chronique sur Musiq3 qui n’est pas encore ex RTBF et j’espère que les musiciens écoutent encore Musiq3… (J’en profite d’ailleurs pour regretter l’absence ici des musiques classiques) …
Mais je vous dis cela pour préciser que je viens du cœur de la bête et que bien entendu ce qui s’est dit sur les médias a appelé mes oreilles, enfin j’ai bien tenté de les fermer un peu, mais j’ai pas pu, et la question de la découverte ou de la redécouverte par les médias de leur propre répertoire et des artistes qui le portent est posée en même temps que celles du manque de fierté ou de l’absence de curiosité qui renvoient elles-mêmes à celles du suivisme et du cynisme, car voilà bien la question de la médiatisation, comme d’ailleurs celle des subventions ou des statuts : rien de cela n’est vraiment nécessaire car chacun sait bien qu’un musicien fait de la musique comme un cerisier fait des cerises, il ne peut simplement pas s’en empêcher, pourquoi donc s’en aller l’aider, lui qui produit sans qu’on le lui demande, c’est ce que j’appelle le cynisme de la cerise…
Et j’en étais là de mes écritures — il faut vous dire que j’écoutais tout du bar, à côté du baffle — quand Bernard Hennebert est venu tempêter dans la salle sur cette question des médias et de fait, Jacques de Pierpont, ça m’a rappelé le Janson, —mais désolé Bernard je n’ai pas bien entendu mais ce n’est pas une raison pour recommencer— mais enfin c’est vrai que juste après Eric Russon a prononcé le mot de « niche ».
Et puis que Jacques, encore lui, a parlé de ce qui était « radio friendly » qui ferme, on l’a compris, à 23 heures et on aura donc compris en même temps — et j’en reviens ici à mon propos de départ— que la transmission est dès lors une niche qui ouvre à 23 heures…
Et c’est là que je me suis dit que la musique, ce n’était pas que de la transmission, ni de la création, ce n’est pas non plus que de la subvention, de la protection, des allocations ou de la médiatisation. C’est bien sûr ça aussi, mais pourquoi est-ce que ça ne serait pas non plus et en plus de l’invention ?
Et précisément, dans ce lieu qui accueille tous les dimanches un marché bio, local et de saison, on a fait référence trois fois lors des échanges — Pirly Zurstrassen vient d’en parler -— à ce qui se produit aujourd’hui dans le secteur de l’alimentation et de l’agriculture. Des domaines qui effectivement, ont pareillement affaire aux mêmes genres de colonisations, de cynisme et de suivisme.
On est bien d’accord qu’un agriculteur n’est pas un créateur, mais ce que l’on remarque c’est qu’aujourd’hui il est pourtant obligé, s’il veut maintenir son outil, son emploi et son utilité, de devenir un inventeur.
C’est d’invention, je pense, que nous avons besoin. Nous n’avons plus besoin de récriminations, nous avons envie d’actions. Et c’était bien d’avoir là Nico Cué, parce que nous n’avons plus non plus besoin ni envie d’individualisations, de séparation ou de concurrences de luttes et de combats.
Il a parlé fort et juste, Cué, et pour ma part c’est la première fois en tout cas que j’apprécie le métal, je veux dire la musique du métal…
Heureusement qu’il reste des fanfares, nous a dit tout à l’heure quelqu’un qui, apparemment, n’était pas prévu au programme. Une fanfare, ça sert à fédérer, a-t-il dit. Et nous autres qui vivons désormais dans une Fédération, savons désormais ce qu’il nous reste à faire. A faire les fanfarons.
Car nous pensons sous des parapluies et c’est hiberner ou combattre a slamé Makki en début de soirée. Hé bien, il reste à inventer tout ça, à fédérer la Fédération, à penser sans parapluie et à faire du bruit.
Bonne nuit et bon réveil.
Paul Hermant
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