24 avril 2023
ZIDANI, UNE MYSTIQUE DU RIRE
Entre l’Algérie et les pingouins, entre Zouk et Madame Chapeau, l’humoriste bruxelloise Zidani fête ses trente ans de scène. Adoubée par Ruquier en France, cette ancienne prof de religion protestante remplit les grandes salles en Belgique sous les radars médiatiques.
Claude : Sandra, tu vas bientôt “célébrer” tes trente ans de scène ?
Sandra/Zidani : Zidani. Pas Sandra. Pour la scène, j’ai choisi mon nom comme prénom.
Claude : Va pour Zidani.
Zidani : Oui, mon premier spectacle, “La petite comique de la famille”, c’était au Centre Culturel d’Anderlecht en ’93, bientôt suivi par “Mon légionnaire” en ’97, que j’ai aussi joué dans le cabaret d’un certain Claude Semal (rires) (1).
Deux spectacles “martyrs”, que je n’ai plus joués par après, mais qui m’ont permis de trouver mon propre langage scénique, ce qui est fondamental pour une auteure et une humoriste. Une galerie de personnages, pour raconter la vie de tous les jours, mais avec l’œil décalé de l’humoriste. Je ne fais jamais du Zidani en “stand-up” pur, cela transite toujours par un personnage.
Claude : J’allais te le dire. L’humour, aujourd’hui, c’est surtout des humoristes qui racontent des histoires debout devant un micro. Toi, tu appartiens plutôt à la famille “One Woman Show“, avec des personnages qui interagissent les uns par rapport aux autres.
Zidani : Tout à fait. Après ces deux premiers spectacles, j’en ai co-écrit six avec Patrick Chaboud, du Magic Land Théatre, une rencontre importante pour moi. Patrick m’a “découverte” au Festival d’Humour de Forest, et m’a tout de suite proposé de travailler ensemble. J’étais ravie car j’étais fan de Malvira plus jeune. Ce qui était sans doute un peu bizarre dans son propre parcours, parce que c’est un “homme de troupe”, alors que moi j’ai plutôt une démarche artistique “solitaire”. J’aime bien observer les gens dans la rue, ou dans les cafés, même si je n’y bois que de l’eau.
Mon papa tenait un restaurant, et j’aimais bien imiter les clients. À l’école, j’imitais aussi les profs. J’ai toujours aimé donner la parole en scène aux “petites gens”, la femme de ménage, la secrétaire, le concierge,… tous ceux qui n’ont généralement pas la parole dans la vie, et que j’aime bien “mettre en lumière”.
Le plus récent de mes spectacles, “Les pingouins à l’aube”, avec Charlie Degotte à la mise en scène, raconte par exemple l’histoire d’une “ouvreuse” – un de ces “petits métiers” qui disparait.
Claude : Prenons les choses par le début. Après “Mon légionnaire“, quel est ton premier “vrai” spectacle ?
Zidani : “Et ta sœur!” (1999), qui se passe dans un camping, avec une bonne dose de belgitude assumée. C’est un spectacle qui critique tous les petits racismes au quotidien. Ce que j’appelle “la pensée sournoise”, celle qui nous habite tous. Car pour moi, être “insupporté” par la différence, cela fait partie de l’être l’humain. J’ai suffisamment travaillé dans les écoles pour savoir que les cours de récré ne sont pas naturellement “tolérantes”. L’ouverture aux autres, cela doit s’apprendre.
Claude : Tu as suivi une formation théâtrale ?
Zidani : J’ai commencé le théâtre à l’école quand j’avais neuf ans. Le mercredi après-midi, j’avais le choix entre “théâtre” et “athlétisme”. Je ne savais pas ce qu’était le théâtre, mais je savais déjà que je n’étais pas une athlète (rires de Claude).
Claude : On peut donc remercier le sport de nous avoir donné une humoriste!
Zidani : Je ne savais pas ce qu’était “le théâtre”, mais je me suis tout de suite sentie bien en scène. Mon père tenait un resto à Zelzate, près de Gand, et il y avait là une juke-box où j’écoutais surtout les trois mêmes chansons : “Fais-moi du couscous, chérie”, “les roses blanches” et “Riquita” de Georgette Plana, que j’ai glissées ensuite dans certains spectacles. J’avais ces vieilles chansons en moi, et en même temps, j’avais envie de jouer, de m’amuser. Je viens aussi de découvrir que, du côté de ma mère aussi, c’était une longue lignée de cabaretiers.
Claude: Tu as suivi un enseignement néerlandophone ?
Zidani : Non, non, on habitait Bruxelles. Par après, mon père a ouvert un resto dans la capitale. Ma “formation théâtrale”, je l’ai suivie dans les académies, parce que “faire du théâtre”, dans ma famille, ce n’était pas un “métier”. J’ai suivi des cours de déclamation, où on m’a donné à dire plein de textes d’humour différents, ce qui m’a été bien utile par la suite. Et même de “vrais” cours d’art dramatique, dont je me suis fait virer parce que le prof estimait que “je n’étais pas faite pour le théâtre”.
Claude : Encore quelqu’un qui a eu le nez fin (rires).
Zidani : Ma mère était veuve d’un premier mariage, et avait déjà quatre enfants quand elle a rencontré mon père, qui était kabyle. Moi j’étais la petite dernière, la surprise du chef, la “fille de l’algérien”, qui avait soudain débarqué dans cette famille très belgo-belge. J’en ai hérité un certain sentiment “d’étrangeté”, qui disparaissait aussitôt dès que je mettais les pieds sur scène. La, je n’étais plus qu’un être humain. Du coup, j’ai laissé tomber Sandra et je suis devenu Zidani.
Claude : Ton père était algérien kabyle, disais-tu. De culture musulmane ?
Zidani : Oui. Il est arrivé en Belgique en 1947, l’Algérie étant alors, comme tu le sais, colonisée par la France. Ses propres parents sont morts quand il avait six ans, visiblement dans des conditions “pas top”. Il avait d’abord travaillé dans les mines en France, puis en Belgique, à Cuesmes, dans le Borinage. Après cinq ans, il a reçu son permis de séjour, qui était une espèce de Graal pour les étrangers, parce qu’il leur donnait la possibilité d’habiter le territoire et d’y séjourner “à vie”. Après ça, il a fait “la plonge” chez des Vietnamiens, en donnant un coup de mains en cuisine, et puis il a ouvert son propre resto, une “cuisine fusion” avant la lettre, avec des carbonnades flamandes kabylo-vietnamo-belges.
Claude : Tu es une vraie “zinneke”, dis donc !
Zidani : Je me suis toujours sentie très “bruxelloise”.
Claude : On reprend la liste de tes créations ?
Zidani: Après, j’ai fait “Va-t’en savoir” (2002), le premier de mes trois spectacles sur l’enseignement.
Claude : Toi-même, tu as été enseignante, ou tu as “juste” animé des ateliers théâtre ?
Zidani : J’ai mis du temps à trouver mon chemin. Dans le secondaire, j’avais fait les “Scientifiques B”, parce que j’aimais la philosophie des sciences, mais j’étais une « quiche » en maths et en physique. Dès qu’il y avait une équation, cela devenait très compliqué. Bon, j’ai fini par sortir de rhéto. Et après ça, à la surprise générale, j’ai fait Histoire de l’Art à l’ULB.
J’ai toujours eu deux passions : le théâtre et la peinture, et ces études universitaires recoupaient les deux. Encore aujourd’hui, je fais souvent des voyages en fonction d’expos ou de peintres que j’ai envie d’aller voir. C’est mon oxygène.
Claude : Tu as toujours utilisé beaucoup de vidéos dans tes spectacles ?
Zidani : Oui, à partir de “Journal Intime d’un sex sans bol” (2004), l’image va vraiment faire partie de mon vocabulaire scénique. J’adore les images, la photo, le cinéma, les vidéos. Comme je change souvent de personnages, cela me permet d’avoir une continuité narrative, d’être tout le temps sur le plateau, sans avoir besoin de “noirs” pour les changements de costumes, comme le faisaient plus classiquement Sylvie Joly ou Elie Kakou.
Claude : Quelle est la place de l’Algérie dans ce parcours trentenaire ?
Zidani : En 2009, je vais pour la première fois en Algérie. Mon père est mort en ’92, subitement, d’une crise cardiaque, sans que je puisse vraiment l’interroger sur son pays d’origine et sur sa propre histoire et sans que puisse visiter le pays avec lui. 1992, c’est aussi le moment où l’Algérie a fermé ses portes entre le gouvernement et les islamistes. C’est le début de la décennie noire.
Et puis, petit miracle… Un cousin germain, le fils du frère ainé de mon père, qui était chercheur à l’Université de Liège, se retrouve par hasard dans une de mes salles de spectacles. Il dit à sa copine : “Zidani, c’est ma cousine“. Elle répond : “C’est ça, et Zidane, c’est ton cousin“.
Mais c’était vrai ! Et cela m’a permis de reprendre contact avec la branche paternelle de ma famille, et de “récupérer” toutes ces infos que je croyais à jamais perdues. Car ce cousin m’a dit : “Je vais en Algérie en décembre, débrouille-toi, je t’emmène avec moi et je te présente la famille…!”.
Curieusement, j’ai commencé à faire des cauchemars. J’avais peur de partir là-bas. C’étaient je crois les peurs de mon père. D’ailleurs, je disais “Je retourne en Algérie”, alors que je n’y avais jamais mis les pieds ! Et finalement, retrouver cette famille, ma famille, cela a été pour moi un moment de bonheur total.
A plus de 90 ans, mon oncle Arezki, le frère aîné de mon père venait de faire son “pèlerinage à la Mecque”, et il avait fait une grande fête au retour pour la famille et le village. Il a vraiment dû ressentir ma présence comme un petit miracle, un cadeau du ciel.
Dans ma vie, je suis rarement tombée au “bon moment”, mais là, c’était pile poil, et cela m’a donné plus d’assurance pour la suite, comme si j’avais réparé quelque chose en moi.
J’ai aussi rencontré Marie-Henriette Timmermans, la responsable au Centre Wallonie-Bruxelles à Alger, qui m’a proposé de présenter un de mes spectacle à Béjaia. Mais je me voyais mal débarquer ici avec mes spectacles “à l’européenne” et mes accents belges. Surtout que les Algériens ont une culture et une tradition théâtrale très fortes, un rapport fort à la langue française, bien qu’hérité de la colonisation. J’avais envie de leur présenter un spectacle qui puisse plus directement les concerner. Mais en même temps, moi, je ne connaissais pratiquement rien à l’Algérie !
J’ai finalement écrit un spectacle qui s’appelle “Retour en Algérie”, où tout se passe… à l’aéroport de Zaventem, parce qu’effectivement, le jour où je devais “vraiment” partir en Algérie, il neigeait, et le vol a été annulé.
Dans la foulée, j’ai fait plusieurs allers-retours là-bas, j’y ai fait plusieurs tournées, j’y ai même reçu des prix, c’était super ! Et le spectacle a été créé en dans sa version “définitive”, avec des vidéos, à l’Espace Magh en 2013.
Entre cette date et mon premier séjour en Algérie, j’ai créé le spectacle qui jusqu’à aujourd’hui a le mieux marché en Belgique et en France : “La rentrée d’Arlette” (2011)
C’est à ce moment-là aussi que j’ai participé à l’émission de Ruquier : “On ne demande qu’à en Rire”. Je ne sais pas si tu as déjà eu l’occasion de voir cette émission ?
Claude : Pas du tout.
Zidani: C’est assez stressant, parce qu’on te donne “un sujet”, et tu as une semaine pour l’écrire et venir le présenter “en personnage” à l’émission devant 150 spectateurs et trois jurys. Et si ça ne plaît pas… tu peux te faire “gicler” en plein milieu du sketch !
J’avais le trouillomètre à zéro, mais finalement je suis restée, et par la suite, j’ai été invitée trente-deux fois dans l’émission. J’étais la seule belge, et je crois qu’ils m’avaient “adoptée”. Cela m’a donné un accès inespéré au public français, et indirectement, au grand public belge. En “prime”, on était à quatre millions et demi de spectateurs !
Claude : Je suppose que cela t’a mis le pied à l’étrier pour des tournées en France ?
Zidani : Tout à fait, bien que cela ait plus tôt mal commencé. Je suis tombée sur un producteur qui m’avait promis six mois de programmation à Paris, et dont la maman m’appelait “couscous”. Tu vois le genre. Bon, finalement, je n’ai pas travaillé avec ces gens et j’ai décidé de participer à “On ne Demande qu’à en Rire”. Mais après ça, j’ai enchaîné deux ou trois ans de tournées en France. Je vivais à mi-temps à Paris.
C’est là que tu te rends compte qu’en Belgique, on est vraiment “pèpère”, on tourne dans un demi-département français, et tu peux tous les soirs rentrer dormir chez toi.
La France, c’est grand. Et tu peux avoir 800 kilomètres à faire entre deux dates. Il faut organiser le travail autrement, loger sur place, prévoir à l’avance tous les déplacements. Une belle expérience.
Claude : On est en quelle année, là ?
Zidani : “On ne Demande qu’à en Rire” en 2012 et 2013, et ensuite en 2014, 2015. Et puis j’ai créé “Quiche toujours”, un spectacle sur, disons, “le féminisme”. J’ai mis du temps à me rendre compte qu’il y avait un “vrai” problème avec la place des femmes dans la société. Parce qu’à la maison, chez nous, c’était plutôt “égalitaire”. C’est mon père qui faisait par exemple la couture et la cuisine.
Mais évidemment, en creusant le sujet, je me suis dis “whoahw!”, il reste du boulot à faire !
C’est là que j’ai rencontré des “Mary Poppins” actuelles, comme je les appelle, et parmi elles Irène Kaufer. Des femmes qui sont toujours disponibles pour “la cause”, et qui se battent au quotidien pour faire bouger les lignes de la société.
Bon, avec Irène, on s’est beaucoup engueulé aussi, elle avait un côté “caporal”, mais elle m’a aussi beaucoup appris. Moi, je suis plutôt feignasse, et je ne sors pas beaucoup dans les manifs. Bref.
Avec “La rentrée d’Arlette”, on a fait un nombre incroyable de salles, je ne peux même pas te dire combien, mais au final, les spectateurs se comptaient en centaines de milliers ! Un truc vraiment costaud. Et cela, malgré des circonstances souvent tragiques.
En 2015, je devais jouer “Arlette” trois mois à Paris, et puis il y a eu l’attentat contre Charlie-Hebdo. Tout le “marché” du théâtre s’est écroulé, les gens étaient hagards dans la rue, ils n’allaient plus dans les salles de spectacle.
On a essayé de sauver les meubles, mais pour la prod, c’était la cata.
En novembre de cette même année, on était programmé au TTO à Bruxelles, et boum, rebelotte, attentat au Bataclan ! En Belgique, par précaution, on ferme les théâtres pendant une semaine. De nouveau, les attentats interrompent nos représentations.
En mars 2016, on doit enregistrer le DVD du spectacle et là ce sont les attentats à Bruxelles à l’aéroport de Zaventem et dans le métro. À nouveau, le projet a dû être reporté “à plus tard”…
Là, j’ai été trouver la directrice du W-Hall, qui avait coproduit plusieurs de mes spectacles, et je lui ai annoncé : “Je vais faire la suite d’Arlette : Arlette part en Syrie !”.
Et c’est comme ça qu’est né en 2017 “Arlette, l’Ultime Combat“, que nous reprenons tout prochainement à Bruxelles. L’histoire raconte une directrice d’école qui va chercher un de ses élèves parti en Syrie, pendant que sa « demi-sœur » jumelle fait tourner l’école à sa place.
On a donc un spectacle qui se déroule sur deux plans, en Belgique et en Syrie, avec une série de vidéos tout-à-fait improbables. C’est une sorte de fable, mais cela reste malgré tout un spectacle fort drôle.
Claude : Quel est ton rapport aujourd’hui avec le “stand up”, qui permet de faire de l’humour dans le coin d’un café avec pour seul accessoire un pied de micro ? Dure concurrence pour les spectacles “théâtralisés”, non ? !
Zidani : J’ai fait une version “stand up” de l’un ou l’autre spectacle, mais c’est le COVID qui nous a poussé à faire ça. Quand on a commencé à pouvoir rejouer, en 2020, c’était avec des jauges réduites. Il fallait pouvoir entrer dans de très petits lieux. Et suite à ça, les “jeunes” ont commencé à m’inviter sur des scènes spécifiquement “stand-up”.
La semaine passée, j’ai par exemple fait “Mamy Georgette en mode stand-up” au King’s Comedy, et c’était très gai de pouvoir croiser ce nouveau public dans ce nouveau réseau, de comprendre comment tous ces “jeunes” travaillent, de voir ce qui les motive.
En France aussi, avec cette version-là du spectacle, j’ai retrouvé une “tourneuse” qui m’emmène dans ces nouveaux circuits de l’humour. Ce sont des portes qui s’ouvrent.
Par contre, Internet a engendré une sorte d’Alzheimer génerationnel chez les humoristes. Aujourd’hui, tu peux monter sur une scène sans connaître Desproges, Coluche ou Devos Il y a un passage de relais qui ne s’est pas opéré. Comme si les humoristes qui ne sont pas “en ligne” avaient disparu des écrans.
“Mamy Georgette”, c’est un peu l’histoire de nos mamans. Dans ce spectacle, Georgette est une « jeune veuve » qui redécouvre la vie et le plaisir des voyages après la mort de son mari. La formule plaît visiblement aux personnes plus âgées comme aux plus jeunes.
Ce sont ces femmes qui ont vécu dans une Belgique “à papy”, bien ronronnant, fondée avant tout sur “la famille”. Il me fait rire, Bernard Clerfayt, quand il évoque son “modèle familial méditerranéen” pour expliquer le fort taux de chômage des femmes à Bruxelles ! Comme si la Belgique n’était pas l’héritière d’un modèle familial bien catho, la variante locale du fameux Kinder, Küche, Kirche (3) !
Claude : Tu parlais tantôt d’un autre spectacle conçu pendant le confinement ?
Zidani : Oui, “Les Pingouins à l’Aube”. Il était prévu pour 2019, mais je l’ai rêvé depuis 1998. Ce que je trouve beau chez les manchots, c’est que le père et la mère sont indispensables pour élever les petits. Les deux. Tu n’as pas de familles monoparentales chez les manchots, et le papa couve pendant que la maman va chercher la nourriture.
Ajoutes-y les problèmes climatiques que l’on connaît, et ma fascination pour l’Antarctique, même si je n’y mettrai jamais les pieds, je suis bien trop frileuse pour ça ! Ca fait une belle matière à spectacle.
Claude : Et tu avais choisi Charlie Degotte pour mettre cela en scène ?
Zidani : Oui, il a ce côté “surréaliste” que je n’ai pas du tout. Moi je suis plutôt “réaliste”, j’ai du mal à sortir des clous. Et puis le COVID nous est tombé dessus. Tu travailles dans un théâtre, et on t’annonce que le lendemain, c’est ton dernier jour.
Qu’on t’interdit en fait de jouer. On a tous connu ça pendant cette période-là.
Quand tout a brusquement basculé dans cette numérisation abusive, que tout se passait par écran, par l’application “Zoom”, qu’on ne pouvait plus sortir de chez soi. Il n’y avait plus personne dans les rues, les oiseaux semblaient ravis.
Moi, j’en ai profité pour “lister” tout ce que je n’avais généralement pas le temps de faire, notamment certains clips (5) et certaines vidéos (6).
Claude : L’image, qui occupe beaucoup de place dans tes spectacles, c’est un langage spécifique. Il y a une équipe fixe avec laquelle tu travailles régulièrement ?
Zidani : J’ai tourné beaucoup de vidéos moi-même, j’ai un côté “geek”, mais j’ai aussi beaucoup travaillé avec mon ami Bernard Chéyenne, qui a un studio chez lui, avec un fond vert pour les trucages, et on a pas mal tourné là-bas aussi.
En fait, le confinement du COVID m’a donné le fil rouge des “pingouins”. J’ai trouvé le lien symbolique entre la planète qui fond et la culture qu’on disait “non essentielle”, alors que les gens se seraient suicidés en masse s’ils n’avaient pas eu les livres, la télé, les radios, les écrans !
La situation de base du spectacle, c’est une ouvreuse qui doit fermer le théâtre, qui n’a pas d’argent pour rembourser les spectateurs, et qui projette à la place un film inspiré par le cinéma muet : “Les Pingouins à l’Aube, ou Frankenstein chez les Manchots” (rire de Claude).
Un film qu’on a fait en studio, dans une sorte de délire total.
“Retour en Algérie” et “Les Pingouins à l’Aube” sont les plus biographiques de mes spectacles, mais aussi les plus philosophiques.
Claude : Tu disais tantôt que tu étais “plutôt mystique”. La religion fait pourtant rarement bon ménage avec l’humour. Tu peux nous expliquer ça ? Et comment cela peut se retrouver – ou pas – dans tes spectacles ?
Zidani : J’ai rencontré Jésus quand j’étais à l’ULB. Mais amis m’ont dit “T’as fumé, c’est pas possible !”. (Rire de Claude) Mon père était de culture musulmane, ma mère catholique, mais moi je me suis convertie au protestantisme.
Il faut dire qu’un de mes proches a été assassiné, un cousin avec qui j’avais grandi. Ca m’a fort secouée. Mais en fait, je crois que j’ai toujours été une mystique.
Par la suite, j’ai aussi fait une formation à l’histoire des religions.
Après quoi, comme j’avais une licence, on m’a fait faire un remplacement de trois mois comme “prof de religion” dans une école, et finalement, j’ai enseigné pendant dix ans dans quatorze établissements.
Aujourd’hui, je ne suis plus vraiment attachée à une religion, mais je continue à me sentir vraiment mystique. Pour moi, c’est une certaine façon de voir et de sentir le monde. La nature a pour moi une dimension divine. Je le vis comme une certitude, mais je ne cherche à convaincre personne. Disons que je m’accommode de ce qui est pour moi une évidence.
Cela ne passe pas nécessairement par le fait de prier.
Cela peut-être peindre un tableau, ou faire une balade en forêt.
Prier, c’est aussi pour moi une façon de me recentrer, d’aller au fond de moi-même, de me demander si ce que je fais est en accord avec ce que je veux vraiment.
J’entretiens aussi une relation un peu mystique avec mon public, avec qui j’ai envie de rentrer “en communion”. Je m’intéresse à ce lien invisible qui nous relie au cours d’un spectacle.
Claude : Tu disais que la mort de ton cousin a été un “déclencheur” de ta foi. Est-ce que ce n’est pas une façon d’apprivoiser ou de nier l’idée de mourir, qui reste à mes yeux à la base de toutes les religions ?
Zidani : Certainement. D’ailleurs, la mort est toujours présente dans mes spectacles.
Mon père m’a toujours dit : “Un jour, je ne pourrai plus être là”.
Peut-être parce qu’il avait lui même perdu ses parents à six ans : l’angoisse de l’orphelin. Perdre ses parents, pour un enfant, c’est presque impossible à imaginer ; et en même temps c’est très angoissant. Il voulait sans doute me prévenir de la finitude possible de la vie.
Claude : Est-ce que ce “mysticisme” n’a pas aussi à voir avec une certaine forme de solitude ? On imagine souvent un “saint” vivre comme un ermite.
Zidani : C’est vrai que j’ai toujours été une enfant solitaire. La solitude, j’en ai parfois vraiment besoin. J’adore paradoxalement avoir du monde dans les salles de spectacle, mais là, je me sens protégée par la solitude du plateau. Pour moi, la religion a été un premier pas.
À l’école primaire, ma mère m’avait mise au cours de religion catholique, mais je ne pouvais pas le dire à mon père. Quand j’ai pu choisir par moi-même, dans le secondaire, j’ai opté pour la morale laïque, que je trouvais plus sympa. Et quand je me suis convertie, j’ai choisi la foi protestante.
Or chez les protestants, il y a un baptême à faire à l’âge adulte. Ma mère était furax, parce qu’elle m’avait déjà baptisée “en cachette” à la chapelle de l’Hôpital St-Pierre, avec mon grand frère comme parrain et sa meilleure amie comme marraine. Et mon père ne l’a appris qu’à ce moment-là. C’est assez gag, finalement, toute cette histoire !
Propos recueillis par Claude Semal le 18 avril 2023
NB : La série de petites vidéos “Pause Copie“, ci-dessous, est vraiment fort drôle. Elles se suivent. Ne vous arrêtez donc pas après la première ;-).
(1) Zidani parle du “Théâtre Le Café“, la petite salle de spectacle que j’ai ouverte avec Charlie Degotte et Benoit Joveneau, à la fin des années ’90, à l’arrière du Restaurant Cartigny, rue de la Victoire à St-Gilles.
(2) “Enfant, Cuisine, Église“, le triptyque auquel étaient destinées les femmes allemandes entre l’empire et le IIIème Reich.
(3) “Arlette, l’Ultime Combat” du jeudi 27 au samedi 29 avril à 20 heures, à l’Espace Magh (Bruxelles), scolaire le 28 à 13h30 (www.espacemagh.be)
(4) Contact pour la scène : contact@zidani.be
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