12 décembre 2022

Laurent Rousseau : UN GÉNIE DE LA PÉDAGOGIE

C’est un véritable homme-guitare, né de l’improbable rencontre entre l’art brut (le blues), le Tour de France (les paysages), Jimmy Hendrix (l’audace et l’extase), Arnold Schoenberg (le vertige de la théorie) et un “youtubeur” à casquette (le charme de la “tchatche”).

Un type qui peut vous citer vingt-cinq bluesmen historiques, et vous rejouer dans la seconde, sur le manche d’une de ses vingt guitares, l’architecture harmonique de leur style et la structure mélodique d’un solo.
Un musicien autodidacte qui, comme Obélix, est tombé dans la potion magique quand il était petit, et qui a pourtant su, en partant d’un seul disque d’Elvis Presley, se réapproprier toute la musique du XXème siècle, de la plus “populaire” à la plus “savante”.
Un créateur atypique qui, comme le Facteur Cheval, s’est construit un Univers-Monde musical en empilant, comme des cailloux ramassés sur la route, des centaines de petites vidéos tournées avec son doigt.
Un bel humain dégoulinant de poésie et de vérité, qui ne se prend pourtant jamais pour un poète (et encore moins pour la vérité !).

Laurent Rousseau, car c’est de lui qu’il s’agit, propose aujourd’hui plusieurs formations musicales passionnantes sur son site “l’Oreille Moderne”.
Ce génie de la pédagogie peut devenir votre professeur particulier à partir de 29 euros (pour la formation “jeu aux doigts”) ou 49 euros (pour un “accès à vie” à l’une de ses formations “complètes” : “Harmonie#1”, “Impro-blues#1”, “Rythme et Groove#1”, “Biomécanique du Guitariste” et “Intervalles et système Caged /ou comment se repérer sur le manche”).
J’écris bien “professeur particulier”, car si tout se passe par vidéos, le Maître sollicite souvent les réactions de ses élèves, et répond illico et personnellement à tous vos messages.
Un programme très pointu, très “savant”, très “technique”, mais avec un seul mot d’ordre : “Faites-vous plaisir !”. À part ça, je ne sais pas quand il dort.
Car Laurent Rousseau diffuse aussi (sur sa chaîne Youtube, “La minute utile du musicien”), des dizaines de petites vidéos passionnantes et gratuites, souvent filmées en extérieur devant des paysages magnifiques…
J’ai même le souvenir ému d’une vidéo héroïquement tournée sous une pluie torrentielle !
Allez voir. Quand on aime, on se mouille, et on ne compte pas.

La vie de Laurent commence comme un roman de John Irving ou de Gabriel Garcia Marquez.
Jusqu’à ses douze ans, il vit dans une caravane, car son papa travaille sur des chantiers itinérants, et toute sa petite famille voyage avec lui dans leurs douze mètres carrés.
Toutes les deux, quatre ou six semaines, cet enfant timide change d’école en même temps que de parking ou de prairie.
Une vraie vie d’enfant de la balle, dont ses vidéos nomades et paysagères semblent encore aujourd’hui garder la trace.
Son père, chef de chantier, était un rocker destroy, un fan absolu d’Elvis Presley, qui toute sa vie avait rêvé de jouer de la guitare.
Pour ses trente ans, sa femme et ses copains de campement lui ont offert une guitare à cordes de nylon.
Mais le Destin avait ce soir-là enfilé ses gros méchants sabots cloutés, et dès le lendemain, le paternel a perdu un pouce dans une meuleuse de chantier.
Tu vois le film ?
A six ans, le petit Laurent a ainsi brusquement hérité de la guitare de papa, qui deviendra vite sa planche de salut, son porte-voix, sa cabane, son refuge, son ami et son seul terrain de jeu.
Dans ses vidéos, Laurent cite souvent son père : “Couscous Cassoulet, même gamelle !“.
Le sens de la formule, visiblement héréditaire. Le gamin commence par jouer d’oreille toutes les chansons de la K7 de Presley.
“Je connaissais par cœur toute cette cassette, les parties de basse, les chœurs, parce que je n’avais que ça !” (1).
Art brut, disais-je, né d’une impérieuse nécessité.

Sa guitare devient vite un enjeu de “fight” avec son frère, son cadet de deux ans, qui s’est mis lui aussi à la musique. Une guitare pour deux ! Ensemble, ils découvrent le rock, le jazz… et le sens du partage.
Tout ça en purs autodidactes, car à l’époque (1976), internet n’existait pas, la caravane changeait chaque semaine de place, et il y avait à peine deux ou trois bouquins pour traiter de “l’apprentissage” du jazz ou du rock.
Et puis, dans les années ’80, diverses “méthodes” ont soudainement fleuri, que Laurent a photocopiées à tour de bras, pour “comprendre comment ça marchait”.
“Je suis autodidacte“, précise-t-il, “… mais instruit. Le feeling et la connaissance, ce sont les deux parties d’une même montagne“.
“Pourtant, un livre,” ajoute-t-il, “ce n’est pas le meilleur support pour apprendre la musique. Il faut avant tout l’écouter et la jouer, et surtout, prendre plaisir à en faire !”.

Côté formation, l’ado ne recule pourtant devant rien : à quatorze ans, il se tape tout seul le “Traité d’Harmonie” de Schoenberg (1911), le père de la musique atonale !
Un peu plus tard, il explore tout le jazz, en étudiant parallèlement Debussy, Bartok, Ravel, Stravinski, Prokofiev, (“… le bonheur, quoi !“).
Toujours aussi seul.
“Mon préféré, c’est Bartok. Les compositeurs de ce début de siècle, ça m’a vraiment percuté, car ils ouvrent des tas de pistes musicales magnifiques, qui ont été très peu explorées ensuite. Bartok, pour moi, c’est vraiment le summum de la dramaturgie humaine. Ca m’a fait kiffer à mort.
Après, les musiciens suivants ont plutôt travaillé sur la déconstruction du matériau musical, c’est intéressant aussi, mais ça m’a moins touché.”
Et puis, bien sûr, il y a eu la rencontre avec l’univers du jazz.
“On départ, quand j’écoutais Herbie Hancock, je n’y comprenais rien. Stravinski aussi, ça m’a fait ça. C’était fabuleux, mais qu’est-ce qu’ils fabriquaient ? Qu’est-ce qui se passait dans cette musique ? Je voulais comprendre. J’étais comme un Cro-Magnon face à une éclipse de lune “.

Le collège décide ses parents à faire une croix sur leur nomadisme. Puis il passe son bac en internat, sans très bien comprendre comment (“Je n’ai jamais fait un exercice de maths. A la fac (plutôt inscrit qu’étudiant !), je jouais de la guitare quinze heures par jour “).
A partir de 18 ans, cours et concerts, sa guitare lui a permis de gagner sa vie, et il lui en garde beaucoup de gratitude et une grande fidélité (“sans elle, je serais mort de faim”).
Laurent a fait des tas de choses depuis.

Il a joué dans des groupes de jazz et de rock, a accompagné des tas de gens, a composé des musiques de scène, a inventé des machines musicales. En Belgique, il a par exemple travaillé avec Tomassenko et enregistré chez Igloo Records.
Mais je connais mal ce parcours, que je devine passionnant, et je veux seulement parler ici du pédagogue.
Laurent a gardé l’immense (et le rare) talent de s’enthousiasmer pour le talent des autres.
Autodidacte, il a dû comprendre et se réinventer seul un vocabulaire et une grammaire musicale.
Musicien moderne, il a voulu étudier le passé et inscrire sa trace dans une histoire séculaire.
Humaniste, il sait ce qu’il doit aux autres – et doute peut-être un peu trop souvent de son propre talent.
Toujours, qu’il parle de Brassens ou de Paul McCartney, de Bartok ou Stravinski, de Jimmy Hendrix d’un obscur bluesman mort en 1925, il a l’œil qui brille et la parole généreuse – et cette générosité est toujours contagieuse.
On a envie de sauter sur Youtube et d’écouter tous les musiciens qu’il cite.

Il est rétif à tous les académismes, mais il a la passion de comprendre toutes les “règles” – pour mieux peut-être les transgresser.
Car ce qui lui importe avant tout, c’est l’expressivité, la poésie, la liberté.
Le reste… ? Quel reste ?
Il se moque de toutes les conventions formelles, si ces conventions ne sont qu’un carcan.
L’essentiel pour lui n’est jamais là.
“Qui oserait reprocher à McCartney d’avoir écrit Yesterday en sept mesures plutôt qu’en huit ? C’est simplement parfait”.
“C’est la vie qui m’a poussé à être musicien. A être guitariste. Si mon père avait reçu un piano, je serais peut-être devenu pianiste. La guitare, en soi, n’a pour moi aucune importance. Gamin, je voulais devenir instituteur. Si ça se trouve, j’ai raté ma vie. J’étais peut-être fait pour être prof des écoles”, dit-il en souriant.
T’inquiète, Laurent. Si tu voulais être prof, tu dois avoir aujourd’hui quelques milliers d’élèves dans le monde qui te témoignent quotidiennement leur gratitude. Et tout le reste est en bonus.

Claude Semal le 8 décembre 2022

Nota Bene : J’ai découvert Laurent sur le conseil d’un copain (Bruno Van Geel, qui avait jadis bénévolement créé “mon” site et celui de Romain Didier et Allain Leprest). J’ai personnellement déjà suivi la formation “Harmonie”, et j’en suis à la moitié de la formation “Blues” (mais pour vraiment intégrer les choses, il y a là pour moi des mois ou des années de travail).
Chaque vidéo est utilement accompagnée de brochures en .pdf avec les tablatures. Si, en cette période de fête, vous voulez donc vous offrir un cadeau utile, ou remonter à cheval après quelques années de paresse, c’est une très belle opportunité.
Et, croyez-moi, c’est le meilleur rapport “qualité-prix” de toute la galaxie.

(1) Toutes les citations incluses dans cet article, sauf une ou deux, sont extraites de la belle interview de Laurent par “Oui Musique” (voir ci-dessous).