23 août 2022
NOUS SOMMES LE 23 AOÛT
Nous sommes le 23 août 2022.
« Le jour de Sacco-Vanzetti
Sur le port sur le port de Dieppe
Mais comment cela se fait-il
Qu’il y eût seulement des guêpes
Le jour de Sacco-Vanzetti… »
Ceci est la première strophe d’un poème d’Aragon qui dit sa déception après une manifestation de soutien à Sacco et Vanzetti, à Dieppe, qui n’avait rassemblé que très peu de monde.
Marc Ogeret l’a chanté.
Ça s’écoute ici :
Ce 23 août 1927, près de Boston, les anarchistes Nicolà Sacco et Bartolomeo Vanzetti étaient exécutés à la chaise électrique.
Leur histoire avait fait le tour du monde et déclenché un énorme mouvement de solidarité un peu partout. Leur exécution était initialement prévue à la date du 10 août.
Les jours précédents, d’immenses manifestations avaient eu lieu dans le monde entier. À Paris, un cortège avait rassemblé plus de 100 000 personnes. À Chicago une grève générale était suivie par 16 000 ouvriers. À New York la grève est suivie par 150 mille personnes (selon la police). Des grèves de 24 heures sont massivement suivies à Montevideo, à Assomption, à Buenos Aires, etc. Meetings et grèves de protestations aussi en Europe, à Bruxelles, Londres, Paris, etc. Des bombes explosent à Bâle, à Sofia, le 11 août, d’autres sont découvertes à Chicago et Londres. Le 23 août, à Montpellier, deux bombes explosent, tuant un gendarme.
Mais à Dieppe, il y avait seulement des guêpes…
Accusés et condamnés sans preuves, Sacco et Vanzetti seront officiellement absous et réhabilités par le gouverneur du Massachusetts Michael Dukakis le 23 août 1977.
Malgré tout cela, en 2022, aux États-Unis, la peine de mort est toujours appliquée dans vingt-huit des cinquante États.
Autre chose, mais peut-être pas tout à fait :
Le 23 août est la « Journée européenne du souvenir pour la commémoration des victimes de tous les régimes totalitaires et autoritaires ».
Pour l’occasion, en 2020, la vice-présidente de la Commission, Věra Jourová, et Didier Reynders, commissaire à la justice, s’étaient fendus d’un communiqué. Je cite : « Le 23 août, il y a 81 ans, le pacte Molotov-Ribbentrop a plongé l’Europe dans les ténèbres. Cet accord entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique a divisé l’Europe centrale et orientale. Il a conduit à la violation des droits fondamentaux de millions d’Européens et à la mort de millions d’autres. Tous les 23 août, nous nous rappelons les leçons de cet effroyable passé […] »
On ne peut qu’applaudir, non ? La signature d’un traité de non-agression entre l’Allemagne nazie et l’URSS, le 23 août 1939, moins de 5 mois après la liquidation de la révolution espagnole, est certes un sale coup pour les démocraties et il est bon de s’en souvenir.
Mais tant qu’à avoir de la mémoire, autant ne pas l’avoir trop courte.
Présenter le pacte germano-soviétique, comme s’il s’agissait d’une sorte d’entente « naturelle » entre deux totalitarismes, c’est tenter d’éclipser le fait que, deux ans plus tôt, à Munich, en septembre 1938, deux démocraties, la France et le Royaume-Uni, abandonnaient la Tchécoslovaquie à l’Allemagne nazie. C’est oublier que Paris et Londres, refusant de traiter sérieusement la proposition d’alliance soviétique et, surtout soucieux d’isoler Moscou, l’ont pratiquement poussé à s’entendre avec Berlin. Ça n’excuse personne, mais ça remet quand même un peu les idées en place.
J’aime bien les cours d’histoire, mais quand c’est Didier Reynders qui fait la leçon, je me méfie. On voit trop la vieille ficelle de cette droite libérale qui essaie de nous faire confondre nazisme et communisme.
Tout cela est trop pénible. Faisons une place à la poésie.
Savez-vous que ce 23 août, Giani Esposito aurait 92 ans, puisqu’il est né le 23 août 1930 (à Etterbeek, mais il ne l’a pas fait exprès). On ne peut pas reprocher au moins de 40 ans de ne pas connaître ce chanteur, acteur et poète français, vu qu’il est décédé à 43 ans, le 1er janvier 1974 et que les radios ne se bousculent pas pour passer ses chansons.
Acteur de formation, il sera dès les années ’50, l’un des éternels seconds rôles du cinéma français. Plutôt sélectif dans ses choix, il tourne avec Renoir (notamment dans French Cancan), Buñuel, Cayatte, Pasolini, Rivette… Dans le même temps, il fait ses débuts dans la chanson dans différents cabarets parisiens. Le succès viendra avec sa chanson « Le Clown ». Au début des années 70, il monte avec sa compagne un spectacle dans lequel il dit des poèmes et chante tandis qu’elle danse. Atteint d’une hépatite virale, Giani Esposito meurt, prématurément, le 1er janvier 1974.
Quelques titres vous rappellerons peut-être quelque chose : Le clown, Un noble rossignol à l’époque Ming, Les ombres sont chinoises, Petite marche sur les pieds du voisin, Les petits pains secs, À tititre posthume, La réponse en mariage, La valse des geignards (À être trop aimé/des enfants et des femmes/on devient à la fois/innocents et infâmes…)…
On écoute « Petite marche sur les pieds du voisin »
C’est par ici →
Une dernière chose avant qu’on ne se quitte.
C’est aujourd’hui la « Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition », en mémoire du 23 août 1791 qui vit le soulèvement des esclaves de la colonie française de Saint-Domingue (aujourd’hui territoires d’Haïti et de République dominicaine). Au lieu-dit « Bois-Caïman », une cérémonie politique et religieuse autour d’un rituel vaudou rassemble un grand nombre d’esclaves issus des différentes tribus africaines. La prêtresse Mambo plonge un couteau dans un cochon noir créole sacrifié, et les assistants boivent son sang afin de devenir invulnérables.
C’est le début d’une longue guerre qui mènera à l’affranchissement général en 1793, puis à l’indépendance de la colonie en 1801 et la création d’Haïti.
Profitons de l’occasion qui nous est offerte pour découvrir le peintre Ulrick Jean-Pierre, artiste issu de la diaspora africaine d’Haïti, qui ressuscite l’art ancien de la peinture d’histoire. Ce véhicule de la mémoire collective, longtemps considéré par les académies d’Europe comme un sommet de l’art, est aujourd’hui tombé en désuétude. Il revit en Haïti avec Ulrick Jean-Pierre, qui est à la Révolution haïtienne ce qu’Eugène Delacroix fut à la Révolution de 1830 en France (1).
C’est tout pour aujourd’hui. Si j’ai été trop long, dites-le-moi.
André Clette
(1) https://l-express.ca/hommage-au-bois-caiman-source-de-lindependance-haitienne/
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