QUELLE “UNION” POUR QUELLE “GAUCHE” ?

S’il y a bien une chose qui m’énerve, en ces lendemains de cuite électorale franco-française, ce sont les perpétuelles exhortations à “l’union de la gauche” – celle qui était nécessaire, celle qu’on aurait dû faire, celle qu’on n’a pas faite –, comme si derrière ce mot, “la gauche”, existait aujourd’hui une réalité politique tangible, évidente, essentialiste, à laquelle il suffirait de se rallier et de se soumettre pour qu’à nouveau le soleil brille sur les BBQ rousselliens, les urnes bourrées au Rosé de Provence et l’avenir radieux (plus ou moins “en commun”).

 
Or ce petit mot, “la gauche”, les sociaux-libéraux en ont tellement détourné le sens, tellement vidé le contenu, tellement détourné les objectifs, qu’il ne sert souvent plus que de vague générique électoral à toutes les alliances du kamasutra politique.
Au point que, sommés parfois de choisir entre un candidat “vraiment de droite” et un candidat “vraiment de gauche”, ces drôles de “socialistes” finissent immanquablement par choisir le premier.
Qui a pu avoir oublié qu’en 2007, le “socialiste” Éric Besson, alors Secrétaire National à l’Économie du P.S., abandonnant en rase campagne Ségolène Royal entre les deux tours de la présidentielle, est allé s’agenouiller au pied des talonnettes de Nicolas Sarkozy pour se faire adouber par l’ennemi ? Sarko, qui ne manquait pas d’humour noir, s’est empressé de lui confier les clés du “Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale“. Difficile de faire pire dans le genre trahison abjecte. Un précurseur.
Pour le remercier, les habitants de Donzère (Drome) l’ont pourtant réélu maire, au premier tour, à 69,92%. Les braves gens.
Dernier exemple (en date) de ces retournements de veste historiques, Jean-Pierre Chevènement, un des père du “souverainisme” français, et qui a longtemps incarné “l’aile gauche” du Mitterrandisme, a appelé à voter dès le premier tour pour Emmanuel Macron (qui doit pourtant politiquement représenter tout ce qu’il combattait autrefois férocement au nom du CERES – atlantisme compris). Mais lui, au moins, a peut-être l’excuse du gâtisme.
Manuel Valls, ancien Premier Ministre de François Hollande, l’avait depuis longtemps précédé dans cette voie dyslexique. Comme plus récemment les anciennes ministres “socialistes” Marisol Touraine et Élisabeth Guigou, plantant leurs talons aiguilles dans les pas de géants de Gérard Colomb, Richard Ferrant et Christophe Casta(g)ner.
Éborgneur, quel beau métier !
Quant à Emmanuel Macron, ancien Ministre de l’Économie du même François Hollande, il s’est carrément métamorphosé depuis cinq ans en chef de guerre de la Droite et du Centre. Ce n’est plus de la dyslexie (où est ma gauche, où est ma droite ?), c’est de l’hermaphrodisme militant (je m’encule moi-même).

Si l’union des combattants est nécessaire à une victoire, il convient donc avant tout de savoir avec qui s’allier, et pour faire quoi ? Or, pour cela, brandir une étiquette de “gauche” de suffit visiblement plus. Car si l’un veut aller à gauche, vraiment à gauche, et l’autre à droite, vraiment à droite, quel sens cela a-t-il de cheminer ensemble ?
Pourtant, à l’exception d’Eric Besson, décidément “hors catégorie”, comme le Tourmalet au Tour de France, ces ralliements à “l’adversaire” ne me semblent pas ici, à proprement parler, des “trahisons”. Mais plutôt des inclinations programmatiques, sur le mode “qui se ressemble s’assemble”.
En effet, en France comme en Belgique, les “sociaux-libéraux”, ou “socio-bourgeois”, se sentent visiblement plus proches, dans leur cœur qui saigne et leur portefeuille qui gémit, des “libéraux” pur jus que de la “gauche de rupture”.
Car ils inscrivent toujours leurs actions à l’intérieur du même système politico-économique libéral, en espérant “en corriger les excès”, sans jamais envisager pouvoir en sortir.
Au contraire de la gauche “de rupture”, qui veut renverser la pyramide sociale, changer de paradigme et de logiciel, redistribuer la propriété, l’argent et le pouvoir.
Ces “sociaux-libéraux” fréquentent les mêmes restaurants que le MR. Pas les cantines du PTB. Et ils partagent les mêmes jetons de présence dans les mêmes Intercommunales – cela crée entre eux des liens affectueux.
Aussi, si les uns et les autres “n’arrivent pas à s’entendre”, ce n’est pas parce qu’ils auraient “des problèmes d’égos” ou des “contrariétés de caractères” (… combien de fois ai-je lu ici ou là cette récidiviste bêtise !)… mais tout simplement parce qu’ils n’ont plus les mêmes objectifs. Plus du tout.
Quand ils ne finissent pas, carrément, de l’autre côté du manche et de la barricade, comme tous les “socialistes” qui ont dès le début rallié Macron (353 gilets jaunes blessés à la tête par des tirs LBD, quand même, dont 30 éborgnés, sous la responsabilité d’un Ministre de l’Intérieur ex “socialiste”. C’est la plus violente répression d’un mouvement social en France depuis cinquante ans).

Or le paradoxe de l’actuelle situation politique, c’est que l’empilement des crises climatiques, énergétiques, internationales, sanitaires, économiques et sociales, conduit “inéluctablement” à des politiques “de rupture”, de “bifurcation”.
Parce que sinon, nous irons collectivement droit dans le mur.
Dans les prochaines années, l’ordre du monde sera donc profondément bouleversé, et le fonctionnement même de nos sociétés aussi (nous en avons eu un avant goût avec les conséquences brutales du COVID-19 sur notre quotidien et sur la démocratie).
Ces politiques “de rupture” peuvent toutefois prendre des visages très différents.
D’un point de vue très pédagogique, on les retrouve dans les trois grands “blocs” politiques qui ont émergé aux récentes élections présidentielles françaises.
Toutes les autres forces politiques seront je crois naturellement “satellisées” par l’un d’entre eux (1).
Le “libéralisme autoritaire” de Macron, le “libéralisme néo-fasciste” de Le Pen et Zemmour, et la “gauche écologique et sociale de rupture” de Mélenchon et de l’Union Populaire (2).
Pour en esquisser brièvement le contenu, Macron, ce sera la même politique de destruction des services publics et de répression sociale, mais en pire.
Le Pen, la même horreur sur le plan économique, mais avec l’instauration de lois raciales en plus. La revanche de la collaboration et de l’OAS sur De Gaulle et la résistance, et l’institutionnalisation de lois racistes.
Le troisième pôle, c’est celui qui a raté la sélection pour le second tour de 400.000 voix, après une “remontada” de 12% en deux mois.
C’était la sortie de crise “par le haut”, la “bifurcation” écologique et sociale proposée par l’Union Populaire : la VI ème République, une Constituante pour redéfinir le lien social, une redistribution radicale des richesses au bénéfice des classes populaires, une réorientation planifiée de la production vers ces nouvelles priorités écologiques et sociales, et la mobilisation du peuple entier pour imposer tout cela. Caramba, encore raté.
Mais quelque soit la verticalité de la Vème République, qui oblige les électeurs françaises à ne choisir, au second tour, qu’entre les deux premiers nommés, le ou la prochain·e président·e de la République devra impérativement composer avec son Parlement renouvelé.
C’est pourquoi, pour tous et toutes, les prochaines élections législatives de juin seront un enjeu absolument crucial. Car contrairement à ce qui se passe d’habitude, où dans la foulée de l’élection présidentielle, les électeurs “offrent” une majorité parlementaire au vainqueur, ces élections législatives pourraient au contraire leur permettre d’affirmer un indispensable contrepoids parlementaire à l’extravagant pouvoir présidentiel français.
Sans nécessairement aller jusqu’à une véritable “cohabitation”, ce que le rapport de force ne semble pas permettre, cette situation politique très particulière, truffée de “cartes forcées” et de “votes tactiques”, me semble particulièrement s’y prêter.
Mais pour cela, il faudra que l’opposition populaire soit massivement représentée au Parlement. Ne nous trompons donc pas ou plus de vote. La bataille des législatives est déjà lancée.

Claude Semal, le 15 avril 2022.

(1) Une analyse assez complète et “objective” de la gauche dans le scrutin par Pauline Graulle dans Médiapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/140422/second-tour-la-responsabilite-des-gauches

(2) La droite LR devrait majoritairement rallier Macron, une minorité s’égarant toutefois chez Le Pen. Le PCF devrait retrouver un accord avec l’Union Populaire (on peut du moins l’espérer). Le PS et les Verts seront écartelés entre ces deux pôles-là. Car il y aura in fine, comme d’hab, au moins un ministre écolo chez Macron, et des écolos anti-libéraux chez Mélenchon. Le Pen capitalisera une partie de la contestation sociale, “contre le cours du jeu”, et, aussi, hélas, dans les marges du mouvement anti-vax. Chez les hésitants, l’abstention continuera à faire beaucoup de dégâts, tant Macron fait aujourd’hui figure de repoussoir.
Je ne crois pas vraiment à la reconstruction d’un quatrième pôle social-démocrate autour de François Hollande (!), ni d’un pôle écologiste “indépendant” autour de Jadot, et encore moins à la construction d’un pôle “révolutionnaire” autour du pourtant indispensable Poutou.

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