21 février 2022
FABIEN ROUSSEL, LABEL ROUGE ?
En trois petites phrases optimistes ou vachardes, en parlant du bonheur, de vin rouge et de bidoche, Fabien Roussel, le candidat du Parti Communiste Français, semble avoir trouvé sa place dans la campagne présidentielle en France.
Le candidat de la France “des fiches de paye et des BBQ”.
Aujourd’hui crédité de 4-5 %, il goûte à ce “succès d’estime” avec d’autant plus de volupté que la candidate du Parti Socialise, Anne Hidalgo, semble, elle, clouée au sol à 2 ou 3 %, et que la supposée campagne de Christiane Taubira, annoncée comme une marche triomphale vers la victoire, est aujourd’hui créditée d’un “score” plancher tout aussi riquiqui. Comme disait ma grand-mère, on n’a que le plaisir qu’on se donne.
Beau gosse, souriant, avec ce qu’il faut d’humour et d’éloquence pour “passer la rampe” auprès des médias, on accueille aujourd’hui d’autant plus volontiers Roussel dans les rédactions qu’il a, pour la presse gouvernementale et bourgeoise, une inestimable qualité supplémentaire.
Il piétine les plates-bandes de Jean-Luc Mélenchon, crédité désormais de 11-13 %, qui est le seul candidat “de gauche” à vraiment rester “dans la course” pour le second tour (1).
Même une Ségolène Royal semble reconnaître la dynamique de l’Union Populaire, puisqu’elle vient d’appeler, contre son propre parti, à un “vote utile” en faveur de Mélenchon (2).
Et en effet, comme le “bloc de droite” est aujourd’hui morcelé en quatre (Le Pen / Zemmour / Pécresse / Macron), le seuil d’accès au second tour, face à un Macron que tous les sondages semblent déjà qualifier, pourrait se jouer demain autour de 16-18% des voix.
Le Parti Communiste Français se retrouve ainsi dans une situation hautement paradoxale. En reprenant électoralement du poil de la bête, il risque de faire perdre… le candidat qui fut aussi le sien lors des deux dernières élections présidentielles !
Car après le “plantage” électoral du PCF aux présidentielles de 2002 (Robert Hue, 3, 37% des voix), aggravé par celui de Marie-Georges Buffet en 2007 (1,93 %), le Parti Communiste s’était en effet majoritairement rallié à la stratégie du “Front du Gauche” (la construction d’un “pôle anticapitaliste” à la gauche du Parti Socialiste).
Jean-Luc Mélenchon, qui venait de quitter le PS avec ses amis pour fonder Le Parti de Gauche avec des écologistes et des républicains, prélude à la création du mouvement “La France Insoumise”, en était devenu le partenaire naturel et presqu’obligé.
Pour ses qualités de tribun, et pour crédibiliser cette démarche “unitaire”, “Méluche” s’était ensuite assez vite imposé comme le candidat commun du Front de Gauche aux deux dernières élections présidentielles.
Après un premier résultat encourageant en 2012 (11% des voix), il avait, en 2017, frôlé la qualification pour le second tour en rassemblant 19,58 % des électeurs autour du programme “L’Avenir en Commun”.
Mais le PCF payait cette “presque victoire” au prix fort d’une “presque disparition” symbolique de son sigle national, ce qui engendra une petite fronde dans ses propres rangs.
Ainsi, une alliance hétéroclite entre les plus “idenditaires” et les plus “sociaux-démocrates” de ses militants allait mettre la direction du Parti Communiste en minorité, ce qui, chez les inventeurs du “centralisme démocratique”, reste un événement tout-à-fait exceptionnel.
Pierre Laurent, l’ancien directeur du quotidien “L’Humanité”, qui avait succédé à Marie-Georges Buffet à la tête du PCF, devait ainsi céder la place en 2018 à… Fabien Roussel.
Mais au delà du choix d’un candidat l’élection présidentielle, ce qui divise aujourd’hui ce parti, c’est le choix stratégique de sa politique d’alliance.
Soit, privilégier l’alliance historique avec le Parti Socialiste, avec qui le PCF cogère de nombreuses municipalités, en reconduisant la vieille “union de la gauche”, parfois repeinte en “gauche plurielle”, qui avait conduit à la victoire de Mitterrand en 1981.
Soit, privilégier l’alliance avec La France Insoumise, aujourd’hui rebaptisée “Union Populaire”, en construisant une nouvelle majorité eco-socialiste autour du programme “L’Avenir en Commun”.
Le PCF a longtemps espéré pouvoir garder ces deux fers au feu.
Mais cela semble aujourd’hui pratiquement impossible après la séquence gouvernementale Hollande / Valls / Macron, qui a fait du P.S. le lieu de la recomposition, non de la gauche… mais de la droite !
Incarnation de cette dérive “social-libérale”, Emmanuel Valls, l’ex Premier Ministre de François Hollande, soutient aujourd’hui… Valérie Pécresse (6).
Quand à Emmanuel Macron, l’ex Ministre de l’Economie de François Hollande, il est aujourd’hui devenu, avec la République en Marche, ce Président des Grosses Fortunes qu’un candidat de gauche devra impérativement renverser.
Dans une récente interview à l’hebdomadaire Le Point (3), André Chassaigne, le moustachu chef de groupe des députés communistes, donne quelques clés de la pensée roussellienne. Tout est dans le titre : “Il est illusoire d’être au second tour“.
Après avoir proféré un gros mensonge (“En 2017, nous n’avions pas de programme“. Ah! Oui ? Et “L’Avenir en commun”, c’est du Bleu d’Auvergne ou du Saint-Nectaire ?), Chassaigne est interrogé sur les conditions d’une victoire en … 2027.
Questions du Point : “Est-ce que vous pensez que, dans cinq ans, il sera possible d’avoir un candidat de gauche qui serait en mesure de gagner ?“.
Réponse de Chassaigne : “Pour cela, il faut que le Parti socialiste se reconstruise et que le Parti communiste retrouve de l’aura” (3).
Pas un mot, ni sur La France Insoumise, ni sur les écologistes.
Autrement dit : une victoire “de la gauche” en 2027 dépendra… du renforcement du parti de François Hollande!
Face à une telle impasse politique et à une telle indigence “d’analyse”, il n’est pas étonnant que des personnalités du PCF comme Marie-Georges Buffet (ancienne secrétaire nationale du PCF), Nicolas Langlois (le maire communiste de Dieppe) ou Sébastien Jumel (le député PCF de Seine Saint-Denis) soutiennent aujourd’hui le candidat de l’Union Populaire plutôt que celui de leur propre parti (4).
Un merveilleux slogan géant barre aujourd’hui toute la façade du siège du PCF, Place du Colonel Fabien à Paris : ” Fabien Roussel : la France des Jours Heureux”.
Ca fait envie, comme une pub pour le Club Med. Qui ne rêve d’être heureux ?
Mais dans la vraie vie, le seul objectif de Fabien Roussel, c’est d’atteindre le seuil de 5% pour rembourser ses frais de campagne (5).
Quand l’objectif de Mélenchon et de l’Union Populaire, c’est de se qualifier pour le second tour, pour battre Macron et mettre en œuvre “L’Avenir en Commun”.
Les seules batailles que l’on perd avec certitude, ce sont celles que l’on renonce à mener.
Il n’est donc pas dit que, dans le secret des urnes, les électeurs communistes ne préfèrent pas finalement jouer “la gagne” plutôt que “la loose”.
Pour partir en week-end avec Roussel boire des coups de rouge devant les barbec’, peut-être.
Mais défendre leur fiche de paye en votant pour Mélenchon et le programme de l’Union Populaire.
Claude Semal le 18 février 2022
NB : Je renvoie ceux que les débats au sein du PCF intéresseraient à cet article partisan mais très bien documenté :
https://www.contretemps.eu/roussel-pcf-communisme-elections-strategie-melenchon-gauche/
(1) Contrairement à ce qui se passe en Belgique, où l’on vote “en une fois”, les élections en France se jouent en deux étapes. Aux élections communales et législatives, sauf si un candidat a d’office obtenu la majorité des voix, seuls les partis ayant rassemblé au moins 12,5 % des inscrits peuvent se maintenir au “second tour”. La liste qui arrive en tête au second tour emporte ensuite la Mairie ou le siège de député. Pour l’élection présidentielle, seuls les deux candidats arrivés en tête du scrutin s’affrontent lors du “second tour”.
(2) https://www.bfmtv.com/replay-emissions/la-france-dans-les-yeux-episode-3/jean-luc-melenchon-sur-le-soutien-de-segolene-royal-il-est-bienvenu_VN-202202170561.html
(3) https://www.lepoint.fr/societe/andre-chassaigne-il-est-illusoire-d-esperer-etre-au-second-tour-17-01-2022-2460730_23.php
(4) https://www.macommune.info/trois-figures-politiques-en-meeting-a-besancon-en-soutien-a-jean-luc-melenchon/
(5) https://www.france24.com/fr/france/20220218-pr%C3%A9sidentielle-fabien-roussel-ou-la-strat%C3%A9gie-du-contre-pied-pour-exister-%C3%A0-gauche
(6) https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/06/24/regionales-2021-manuel-valls-appelle-a-voter-pour-la-liste-de-valerie-pecresse-contre-le-danger-de-la-coalition-de-gauche_6085499_823448.html
Irene Kaufer
Publié à 14:33h, 19 févrierRoussel, ce n’est pas seulement une (des nombreuses) machine(s) à perdre à gauche, ce n’est pas seulement les slogans creux (en France, certain·es coulent des jours parfaitement heureux sous le macronisme), c’est aussi le partisan de la chasse et du nucléaire, celui qu veut moins de migrants et plus de policiers, et qui ne craint pas de flirter avec le “saucisson-pinard” qu’on croyait réservé à l’autre bout du spectre politique… Bref, opter plutôt pour Mélenchon ne me semble pas seulement un choix stratégique pour celui qui a le plus de chances de passer (ou le moins de trépasser) au premier tour: il s’agit aussi de refuser un contenu imbuvable (même avec un bon coup de rouge)