“Still Standing” sur la Grand’Place de Bruxelles HUIT SECONDES SOIXANTE-TROIS CENTIÈMES DE CULTURE

C’est samedi et c’est Still Standing. J’ai rendez-vous avec Stef au Botanique. Paraît qu’il se passe quelque chose, de la musique. Bon, le mois dernier, devant le théâtre des Martyrs et rue Neuve, les actions avaient été fortes et ça faisait du bien de voir les copains. J’ai plein de trucs à faire, mais je me dis que tout ça va me faire du bien.
Arrivé au Bota, c’est pas la grande ambiance. Stef et moi, on décide d’aller Grand-Place. Le vent souffle grave. Et les buildings foncent à toute allure sous des nuages immobiles.
Aux abords de la grand Place, les rues sont bondées. Ca fait ses courses, ça cherche le soleil entre deux ombres. Mais en fait d’happening, il ne se passe rien sur la place. Ah si ! Tiens Delphine et Sophie Bibet ! Je les présente à Stef.
Delphine, tu connais pas Delphine ? C’est elle qui fait les grands petits films « Entre acte », le prolongement de son spectacle « Playback ».
Ah oui, Playback, j’ai vu au National.
Bref, se passe rien, mais aussi plein de choses. On échange à fond les manettes. Tellement à se dire ! Et le vent souffle. Et on doit crier sous le masque. Et on enlève le masque et on cause. Et ça fait un bien fou.
Au moment où on se demande quand même ce qui est organisé ici, voilà Sarah et ses acolytes Vincent et Lila qui débarquent en tenue blanche, style fin du monde. Sous la tenue de Sarah, je devine sa peau. Elle va nous faire un striptease que ça ne m’étonnerait pas. Elle en avait fait un le mois dernier, mais à l’époque le soleil était au rendez-vous et il faisait délicieux. Aujourd’hui, ça caille. L’accordéon de Lila entame Bella Ciao. Sarah et Vincent montent sur des caisses en bois. Sarah tient en main une bobine de film un peu cabossée.

Soudain, surgissent d’un côté une meute de photographes et de l’autre une meute de policiers. On se croirait au rugby. La balle est tombée au milieu du terrain et les deux camps se précipitent pour essayer de la récupérer.

Le spectacle n’a duré que 8 secondes 63 centièmes.

Le public –et oui, soudain le public était là lui aussi- ne comprend pas. Il se met à huer les policiers qui déjà emmènent les artistes au fourgon. Les renforts arrivent. La place qui jusque-là passait un samedi tranquille à compter ses touristes, se voit bousculée. Les forces de l’ordre réussissent le tour de force de créer le chaos.

Un ami de Sarah se précipite vers les policiers.
Monsieur de la maréchaussée, savez-vous que le fils de la femme que vous venez d’embarquer est fragile. Il est atteint d’un sérieux handicap. Il ne comprend sans doute pourquoi vous kidnappez sa mère.
Oui, mais monsieur, on a des ordres.
Des ordres ? Donc les ordres, c’est plus important qu’un enfant qui risque de faire une crise d’épilepsie ?
Son regard fuit le passant. Il se réfugie à l’avant du combi qui déjà s’éloigne au coin de la place vers le commissariat.

Heureusement, tout cela semble amuser Jack, qui une grande tête d’Indien dans le dos, observe le chaos avec amusement.

Une passante propose qu’on se foute tous et toutes à poil car on est trop nombreux pour se faire arrêter. Mais le vent souffle si fort qu’elle a à peine descendu la bretelle de son soutien qu’elle se ravise.
Une petite foule d’une cinquantaine de personnes décide de suivre Lila qui se dirige avec son accordéon vers le commissariat pour y récupérer son mec et Sarah. La maréchaussée fait barrage, mais ne peut empêcher la marée qui monte en descendant la place.
Sur le chemin, Lila se fait arrêtée.
Veuillez nous suivre.
Motif ?
– Contrôle d’identité.
Motif ?
Ca ne prend que cinq minutes
– Motif ?
Lila résiste. Faut dire que Jérôme intervient et rappelle qu’il faut un motif valable.

Finalement, le happening se poursuit devant le commissariat. C’est bon de sentir cette solidarité. Mais c’est effrayant de réaliser que la police dont le rôle est le maintien de l’ordre a contribué au désordre.
A un moment, je me suis même demandé si Sarah dont le mec est dans la pub, n’avait pas des amis dans la police et s’il n’avait pas organisé l’intervention des flics juste pour créer le buzz.

Sarah et Vincent finissent par sortir. Sarah s’inquiète de Jack. Mais celui-ci lui dit :
J’aime bien quand tu te fais arrêter. Dommage que j’avais pas mon costume de héros.

Je rentre chez moi et j’appelle Sarah. Elle me dit que Jack a beau dire que tout ça l’a amusé, ça a quand même été un petit choc. Aussitôt Sarah a demandé à Jack de dessiner ce qui s’est passé.

Video 2

Ce qui s’est passé est super inquiétant et passablement pathétique. Primo, l’intervention est disproportionnée. Deuxio, elle n’est en rien motivée. Tertio, elle est contreproductive, car si le but est d’éviter les clusters, la police s’est arrangée pour en former un castar ! Quarto, il semble que la culture n’est plus droit de cité, ni dans les lieux artistiques, ni dans la rue. Quinto, je ne suis pas sûr que la police aurait osé la même intervention à la citée Modèle à Laeken ou de l’autre côté du canal à Molenbeeck. Sexto, j’ai senti à travers ce tout petit événement de rien du tout, l’ombre envahir ma ville et c’était pas celle des nuages que le vent continuait à faire voyager à toute vitesse. Septo, suis frustré : une fois de plus j’aurai raté un striptease de Sarah Moon.

Reportage (texte, photos, vidéos) Alain de Halleux

La photo de couverture est de Éric’s groove

Dans un article de La Libre Belgique, la mésaventure qui est arrivée à nos ami·es du “Monty” :

https://www.lalibre.be/regions/brabant/stillstandingforculture-la-police-s-invite-au-monty-a-genappe-et-dresse-un-pv-mais-les-animations-peuvent-continuer-604cc4989978e2410fa94170?fbclid=IwAR20xrVbPF5ijo2XSKNZl9BJTUlgzV0dAZ78CgT7F70tLdvouB6XI8k8Hqk

3 Commentaires
  • Semal
    Publié à 06:17h, 15 mars

    La performeuse Be Be Be (Béatrice Didier) m’a fait parvenir le message suivant : “Coucou Claude, par rapport au soutien de la Ville de Liège sur Still Standing of Culture hier, au reportage fait par Alain hier sur la Grand Place, je voudrais juste dire (par exemple)… à chaque fois que j’ai organisé un festival de performances, s’il s’agissait d’intervenir dans l’espace public, il fallait tjs demander une autorisation (et le “pire” a été à Lige lorsqu’il s’agissait de demander une autorisation pour faire une “open session” devant l’Opéra de Liège ( suggéré no pas par nous;)) , la personne responsable (qui n’était pas moi, n’habitant pas Liège;)), a du garantir qu’il n’y aurait pas d’explosions/feu etc (donc quit of Gwen Robin qui était sensée être de la partie;)) ni de contenu politique! ( va t’en expliquer cela des chinois “militants” qui débarquent en Europe où ils pensent que la démocratie et la liberté d’expression est de mise…) . Il me semble qd même qu’il y a un certain aveuglement ou naïveté? des artistes dans ce pays? (est-ce dû à l’habitude de “pratiquer” dans des théâtres, salles de concerts etc?…) Pense-t-on qu’avant la crise covid toute personne qui émet un acte “artistique” est “libre” de le faire dans l’espace public? (allons demander ça par exemple à qqn qui joue de la guitare (par exemple) dans le métro ou dans la rue? Sorry si mon message peut paraître “attaquant” (ce n’est pas le but) et tant mieux si les artistes “conventionnels” (dont je fais partie soyons clairs j’ai mon statut par exemple;)) et merci (vraiment!) pour le reportage d’hier mas ne faudrait-il pas aller plus loin par rapprt à la notion d'”espace public” comme ENTRE AUTRE lieu d’expression (une lettre d’une communauté internationale a été adressée à ce sujet, je ne le retrouve pas maintenant mais je peux SANS vouloir faire de la pub AUCUNEMENT). Cependant avec tout mon soutien sincère pour ce que tu poursuis, et aujourd’hui avec Asymptomatique. Courage!!!!!!!;(😉

  • Luc Boland
    Publié à 12:10h, 14 mars

    le courage du combat ! Bravo Sarah !

  • Marie-France Vincke
    Publié à 07:32h, 14 mars

    Perso, suis allée soutenir le centre culturel de ma commune. Deux heures de spectacle vivant, pas de police, solidarité avec tous les artistes.

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