22 janvier 2025
LA COLÈRE DU Dr SABRINA ALI BENALI
« Monsieur Mélenchon est comme Madame Irma. Ses prophéties ne se réalisent jamais, ce qui ne l’empêche pas de les répéter à intervalles réguliers » (F. Hollande). En guise de réponse à l’interview de François Hollande dans La Tribune du Dimanche, ce 19 janvier 2025, et à sa blagounette sur Mélenchon, le dr SABRINA ALI BENALI lui a vertement répondu sur les “réseaux sociaux”. Pour témoigner de son vécu et du délabrement des services de santé en France – auquel la politique de F. Hollande a participé, comme d’ailleurs Sarkozy et Macron. (C.S.)
Moi, je sors des Urgences aujourd’hui. J’ai dû faire sortir des gens malades à la rue, dont un monsieur de 67 ans qui avait l’air d’en avoir 80. Il sentait mauvais. Il sentait le pauvre pas lavé, aux vêtements sales. Il a demandé un café chaud. Demain, il sera peut-être mort quand je reviendrai, après cette nuit à -1° C. Comme plus de 800 l’année dernière, entre les chewing-gums et les poubelles.
Ensuite, on a dû tenir à cinq une jeune femme de 21 ans, pour qui la vie est tellement moche qu’elle avait bu 2 litres de rosé, descendu 9 bombonnes de protoxyde d’azote et un rail de coke. Mais il n’y a plus de place pour elle en psychiatrie.
Ah ! C’est sûr que vous, vous n’êtes pas prophète.
Vous avez bien réalisé votre beau Virage Ambulatoire. Les lits d’hôpitaux, vous les avez bien fermés. Et les financements aussi. Et que dire, des malades, que je n’avais pas besoin de voir car mon collègue les avait déjà vus la veille. Ils doivent être hospitalisés mais… oh… ! Ça alors, plus de place !
Les gens traités comme des caisses qui attendent le ramassage en brancard. Ils sont là hier nuit, ce matin quand j’arrive, et toute la journée. Aux Urgences, sous les néons, malades, sur des brancards, entre les cris, les gémissements et la course des malades.
19h30. Je quitte l’hôpital. Y’a les SDF autour de Gare du Nord, qui demandent une pièce, et ceux du métro, qui nous hèlent pour un ticket restaurant.
Et là, je me pose, une fois les enfants couchés, et je vous lis à jouer aux bonnes vannes sur Twitter avec Mme Irma.
Ça vous fait tellement marrer que les prophéties de JLM ne se réalisent pas ? C’est vrai qu’il est tellement marrant, l’état de la société !
Qu’on rigole un peu. Mais oui. Haha, le gouvernement n’est pas tombé. On va continuer à avoir des gens qui crèvent sur le trottoir, et des jeunes qui se suicident. Trop bien ! Je suis hilare de ma journée aux Urgences, et de la môme broyée par la vie qui pleurait sur mon pyjama…
Pour vous, c’est un jeu tout ça. Le prochain congrès, le prochain coup. Pas moi. Pas nous. Pas des millions. Jamais vous n’aurez le goût sur vos joues des larmes de ceux qui passent entre nos mains aux Urgences. Monsieur Mélenchon peut être pas non plus, mais au moins, il essaie de faire advenir ces prophéties. Celles qui rêvent d’une société dans laquelle ces larmes ne couleront plus.
Recevez ici, monsieur l’ancien président, monsieur le député « de mon camp », tout mon mépris à l’égard du vôtre envers les malheurs des gens.
X X X X X X X
Il m’aura fallu attendre une semaine pour que ma colère s’amenuise, et que je puisse écrire un post sans qu’il ne soit rempli des injures qui me sont venues à l’esprit envers le gouvernement, lorsque je me suis occupée de cette vieille dame.
Comme dans notre société macroniste, insulter un président ou un ministre fait plus risquer sur le plan pénal que tuer des patients par les politiques menées, j’ai attendu d’être capable d’écrire sans gros mots pour ne pas finir convoquée par la police.
« Quelle sauvage ! » diront les petits bourgeois de plateaux TV et au pouvoir. Bien sûr, qu’ils nous prennent pour des sauvages, des gens grossiers, le bas peuple. Mais surtout, bien sûr qu’à eux, ne leur viendrait jamais de telles envies de crier « Mais PUTAIN de merde ! » …
Car jamais ils ne sont confrontés aux situations qui font péter les plombs. À vous, à moi, aux gens du peuple.
Comme celle-ci : c’était lundi dernier nuit. Appel pour douleur de jambe chez une femme de 78 ans.
Je sonne. Ça met du temps, beaucoup de temps, à ouvrir. Je comprendrai ensuite pourquoi. Quand la porte s’ouvre, c’est une vieille femme assise sur un fauteuil roulant qui m’ouvre, le bras tendu vers la porte et le dos recroquevillé vers l’avant. J’entrouvre un peu plus la porte, mais ça bloque, et sitôt un carton me tombe sur la tête. On ne peut pas faire un pas.
Un pas esquissé à l’intérieur, je demande à la dame ce qu’il se passe.
Handicapée par sa douleur et la fièvre, elle me montre ses jambes. Des poteaux luisants, nus dans ses bottes hautes noires sans chaussettes.
Je découvre un érysipèle de la jambe droite (infection de la peau en profondeur). Je me demande même, au vu des ulcérations, de la couleur et de l’odeur, si elle ne démarre pas une fasciite nécrosante (destruction des tissus). La dame, faute de soins, avait mis du papier toilette sur sa jambe en m’attendant, pour que le suintement ne coule pas dans sa chaussure.
J’essaie d’enjamber le fauteuil de la dame au-dessus d’elle, pour me mettre debout quelque part, et ouvrir mon sac à dos. Je découvre les portes vers une petite cuisine et une chambre, aussi encombrées que l’entrée.
Je demande « Mais comment faites-vous, madame, pour aller vous coucher, pour vous alimenter, dans de telles conditions ? ». Elle me répond qu’elle achète des dizaines de boites (taboulé, carottes etc…) et qu’elle les mange assise ici sur son fauteuil. Elle a mis un grand sac plastique à ses pieds, qui lui sert de poubelle. Pour se coucher, elle se tient à droite, à gauche, jusqu’au lit une place. Elle ne peut plus se laver depuis longtemps.
S’il est déjà révoltant qu’une personne âgée se retrouve dans de telles conditions de vie, ce qui m’a mis le plus en colère, c’est la lecture du compte-rendu d’hospitalisation de la dame, qui date de quelques semaines auparavant.
Cette dame avait été hospitalisée pour « chutes à répétitions » (on imagine bien comment ça va aller mieux dans un domicile pareil).
Mais il est surtout mentionné dans le dossier : « incurie et insalubrité du domicile ».
Cette vieille patiente de 78 ans, hospitalisée des semaines dans un hôpital public, puis en SSR, avec notion d’une potentielle mise en danger de sa santé, voire de sa vie, à son domicile, est donc rentrée dans cet état, alors qu’on sait.
Voilà ce que coûtent les politiques de santé de ces dernières années.
Plus d’assistance sociale, plus de services sociaux disponibles rapidement pour de telles situations, des délais à rallonge, et au milieu de ça, des patients vivant chez eux, seuls, au milieu de leurs déchets. À quelques heures où quelques jours près, cette dame aurait pu perdre sa jambe, voire mourir au milieu de ses cartons.
Je lui ai demandé si une assistante sociale avait été mise sur son dossier pour des aides.
« Oui », m’a-t-elle dit. « Mais Paris Habitat a dit que c’était trop encombré chez moi pour qu’elles viennent ». Le summum … !
Qu’attend-elle, avec ses troubles de la marche, sa cyphose dorsale qui la fait marcher pliée en deux, ses gros muscles et ses troubles cognitifs, pour « débarrasser » son appartement, cette dame ? Les services qui se renvoient la balle, faute de moyens, on connaît par cœur. À la fin, ce sont des drames humains qui se jouent.
J’ai appelé le Samu pour qu’on m’envoie une ambulance. Les ambulanciers ont transféré la dame tant bien que mal sur un fauteuil. Ils ont vu comme j’étais en colère contre tout ça. Ils étaient adorables. Avec elle. Avec moi. Solidaires. On partage la vue de ces bordels partout dans Paris, tout le temps.
Pour la première fois de ma vie, j’ai presque supplié par écrit, dans ma lettre aux urgences, de s’occuper de la « partie sociale » de cette dame avant qu’elle ne retourne à domicile.
En partant, une fois dans le fauteuil des ambulanciers, la dame nous dit : « Mon sac, le porte-monnaie, les impôts… Je vais être en retard pour les impôts … ». J’ai ri jaune. J’me disais, et je crois avoir dit à voix basse : « Vous Madame, je me demande bien pourquoi vous en payez, des impôts ».
Pour les apôtres de la bienséance et des questions à la con :
1/ Non, cette dame n’a pas d’enfants, et quand bien même, la maladie et la précarité ne sont pas à la charge de la famille, mais des services pour lesquels on paie des impôts.
2/ Non, je n’ai pas demandé à la dame si je pouvais prendre des photos, et je n’en ai rien à faire de ceux qui me feront la leçon.
J’ai fait en sorte qu’elle ne soit pas reconnaissable, ni elle ni son lieu de vie. Et si devant une telle situation, c’est le délire de quelqu’un de venir me chanter que c’est condamnable, alors je veux bien l’être, pour dénoncer l’incurie de ce gouvernement de menteurs, d’hypocrites et de salopards.
Monsieur Emmanuel Macron, Mr Valletoux, Mme Vautrin & Co , puissiez-vous voir la réalité de vos politiques en face.
Vous pourrez continuer de croire à vos propres mensonges, à vos fantasmes de progrès, plus faciles à digérer entre deux coupes de champagnes avec des salaires à cinq chiffres qui tombent, que dans la vraie vie de ceux d’en bas.
De notre côté, on sait, on continuera à vous mettre la tête dans le chaos que vous créez, et perso, à mettre mon énergie à ce que vous dégagiez au plus vite pour remettre un minimum d’humanité dans ce pays.
Veuillez agréer, monsieur le président, messieurs dames les ministres de la santé, mes sentiments les plus désagréables devant le mépris que vous m’inspirez.
Dr Sabrina Ali Benali (le 19 janvier 2025, sur les réseaux sociaux)
Pas de commentaires