UNE VICTOIRE AU MILIEU DU GUÉ par Claude Semal

Tout à la joie et au soulagement d’avoir battu le Rassemblement National dans les urnes, déjouant ainsi tous les pronostics et vingt-sept sondages sur vingt-sept, le Front Populaire pouvait légitimement penser avoir gagné les élections.
D’autant qu’il devançait également les Macronistes, dont les rangs avaient pourtant été miraculeusement gonflés par les « désistements républicains » face aux candidats du Rassemblement National (1).
Le Front Populaire s’apprêtait donc à gouverner.
Mais s’il est de tradition dans la Vème République de choisir un Premier Ministre dans les rangs des vainqueurs, ce n’est, précisément, qu’une « tradition ». Non une obligation légale.
Le choix du Premier Ministre est en effet une prérogative du Président de la République – et c’est mal connaître Macron de s’imaginer que, beau joueur, il allait s’incliner devant un verdict des urnes contraire, tant qu’il lui reste la moindre possibilité de le contourner.

Depuis sept ans, la seule cohérence programmatique du macronisme – je dis bien : la seule – est d’avoir formaté les lois et l’action gouvernementale au service des seules grosses fortunes et des nababs du CAC 40.
Macron n’est pas le président « de tous les Français ». C’est le fidèle agent exécuteur d’une seule classe sociale : la grande bourgeoisie.

Tordons au passage le cou à un canard qu’on entend beaucoup voleter ces jours-ci.
Il n’y a pas, en démocratie, de « courte » ou de « large » victoire.
Qu’on gagne le Tour de France avec trois heures ou trois secondes d’avance, le vainqueur reste le vainqueur.
Et combien de député·es ont parfois perdu ou gagner leur siège pour quelques centaines de voix ! C’est le jeu parfois cruel de la démocratie. Mais refuser de s’y soumettre, comme le fit régulièrement Trump, c’est remettre en cause la démocratie elle-même – comme on l’a vu avec les mutins du Capitole. Refuser de reconnaître la victoire du Front Populaire, comme Macron vient de le faire dans un courrier aux Français, c’est donc emprunter la même voie illibérale et ubuesque.

Ce qui est vrai, par contre, c’est que le Front Populaire est très loin d’avoir une majorité à l’Assemblée Nationale. Il lui manque pour cela une centaine de sièges. On peut en gratter une vingtaine chez divers gauche et les élus ultramarins. Pour le reste, il faudra construire au coup par coup des “majorités de projet”.
Certes, les gouvernements Borne et Attal furent eux aussi minoritaires, mais les Macronistes avaient au moins su, lors du vote des lois, ou même lors des votes de confiance, négocier le soutien ou l’abstention des libéraux et/ou du Rassemblement National.
On ne voit pas très bien qui rendrait aujourd’hui la pareille à un gouvernement du Front Populaire : ni l’extrême-droite, ni les macronistes, ni les libéraux.
De plus, après en avoir si souvent et à juste titre critiqué l’usage, on ne voit pas très bien non plus la gauche gouverner à coups de 49.3.
Macron essaye donc visiblement de faire surgir une autre « majorité » (ou plutôt une « autre minorité ») en associant les macronistes aux libéraux (et peut-être aussi, espère-t-il, à certains sociaux-démocrates).
Un soi-disant « bloc central » qui prétendrait ainsi gouverner en isolant symétriquement le Rassemble National et la France Insoumise.
Il pourrait, je crois, compter aussi pour cela sur les contradictions internes au Nouveau Front populaire, en particulier sur la ligne Hollande/Glucksmann, qui a de beaux restes au Parti Socialiste, et qui, de notoriété publique, est idéologiquement plus proche du macronisme que de la France Insoumise.
Sans compter le fumet toujours appétissant des gamelles, chez les politiciens professionnels qui n’envisagent jamais la politique que comme l’exercice concret du pouvoir (avec les menus avantages afférents).

Le Front Populaire doit donc désormais gérer une triple contradiction.
1. Vainqueur de l’élection, il reste tributaire du calendrier, du bon-vouloir et des manœuvres du roitelet élyséen (2).
2. Les points clés de son programme sont parfois très majoritaires dans l’opinion, mais il est lui-même minoritaire à l’Assemblée Nationale.
3. Le courant Hollande / Glucksmann saisira je pense la première occasion pour s’allier aux Macronistes plutôt qu’à la France Insoumise.
Comment sortir de ce piège ?
Certainement pas en se limitant à de simples négociations d’appareils entre partis.
Peut-être en osant soumettre à un large référendum populaire les points clés de son programme (pension, SMIC, blocage des prix,…), avec l’appui des syndicats et de la société civile – ce qui lui donnerait une incontestable nouvelle légitimité démocratique. Et en « obligeant » ensuite un gouvernement à l’appliquer.
En attendant une nouvelle possible dissolution par Macron dans un an – et l’élection présidentielle dans la foulée. On y sera plus vite qu’on ne le pense.
Mais avant cela, il faut d’abord se mobiliser pour que Macron reconnaisse la victoire du Front Populaire !
Ce déni du résultat des urnes est une atteinte grave à la démocratie et aux libertés publiques.

Claude Semal, le 11 juillet 2024

(1) Les « désistements républicains » ont principalement bénéficié aux candidats macronistes ou de droite, les électeurs de droite préférant souvent s’abstenir ou voter RN que de voter pour la France Insoumise ou pour la gauche en général. Par contre, LFI a su massivement mobiliser les électeurs abstentionnistes.

(2) https://linsoumission.fr/2024/07/10/nouveau-front-populaire-chiffres/

NB : J’écris ce texte ce jeudi onze juillet 2024. Comme je ne suis pas devin, l’actualité le rendra peut-être rapidement en tout ou en partie obsolète. Je ferai si nécessaire des notes de « suivi ».

NB2 : Ci-dessous, “Que Faire?”, un (long) meeting commun entre diverses personnalités et organisations de gauche et d’extrême-gauche (comme les Mouvements de la Terre, Besancenot, Lordon et des assos décoloniales). Je ne partage pas nécessairement tous les points de vue exprimés, mais leur confrontation me semble ici particulièrement fertile et utile, et vous ne les entendrez pratiquement jamais ailleurs dans les grands médias.

4 Commentaires
  • Philippe Malarme
    Publié à 10:50h, 13 juillet

    Bonjour Claude,

    Ton analyse me donne froid dans le dos. Le premier ministre n’est pas, à l’inverse du président, nommé par une majorité relative de Français. Pour gouverner efficacement, le premier ministre doit se trouver une majorité absolue parmi les représentants élus par le peuple français. S’autoproclamer premier ministre au nom d’une ”victoire” aux législatives démontre d’un dangereux irrespect de la Constitution française, laquelle est certes perfectible mais dans l’ensemble garante d’une forme honorable de démocratie.

    Le ”roitelet de l’Elysée” n’a guère plus de pouvoir que notre roi des Belges pour imposer un premier ministre qui puisse effectivement gouverner. Son pouvoir discrétionnaire se limite à dissoudre l’assemblée et provoquer de nouvelles élections. Ce que le président a fait, avec courage et une pointe de machiavélisme, et aura permis aux Français de se compter. Inutile maintenant de recourir à des référendums, l’assemblée élue est suffisamment diverse et représentative que pour décider du bien des Français.

    Après mille ans sous divers régimes monopolistiques, les Français vont devoir apprendre l’art du compromis et de l’équilibre. Espérons qu’ils y parviendront sans heurts.

    J’adore l’Asymptomatique, seul journal à vraiment donner la parole à ses lecteurs.

    Philippe.

    • Semal
      Publié à 14:58h, 13 juillet

      Hello Philippe, ton commentaire me semble un peu lunaire, et il est je crois factuellement complètement faux sur plusieurs points. Dans une élection présidentielle à deux tours, le président est au contraire élu à la majorité absolue des votes exprimés (et non, comme tu le dis, à une majorité relative).. Et ce sont les majorités parlementaires qui peuvent au contraire être parfois relatives (comme c’était le cas pour les députés macronistes ces deux dernières années qui, comme la gauche aujourd’hui, n’avaient pas de majorité au Parlement (d’où la vingtaine de 49.3, pour faire passer les lois sans votes). Et jusqu’ici, le Premier Ministre a toujours en France été choisi dans le groupe politique le plus important de l’assemblée, qui est incontestablement dans ce cas-ci le nouveau Front Populaire.
      Quant à la Constitution de la Vème République, que François Mitterrand a pu qualifiée dans un livre de “Coup d’état permanent”, elle donne au contraire un pouvoir exorbitant au président (rien à voir donc avec le Roi des Belges!).. L’article 16 de la Constitution lui permet même de faire un “coup d’état” légal sans plus devoir se référer ni à ses ministres, ni au Parlement !

      • Philippe Malarme
        Publié à 00:04h, 14 juillet

        Bonne nuit Claude. Tu as sûrement raison sur la forme. Je ne suis pas juriste. Mais sur le fond, se lancer des noms à la tête comme autant de patates chaudes, comme le font aujourd’hui les parties en présence, sans même discuter d’un programme à mettre en œuvre, c’est du pur surréalisme. Combien de temps ce combat de coquelets va-t-il durer avant que les gens sérieux, je suppose qu’il y en a, se mettent autour de la table pour discuter du fond ? Et mettre un peu d’eau dans leur vin, pour constituer une vraie majorité de (représentants des) Français.

  • Marc Jacquemain
    Publié à 12:00h, 11 juillet

    En commentaire, un statut Facebook publié avant le premier tour, mais toujours d’actualité.

    MACRON : LES MASQUES TOMBENT
    C’est lui-même qui a sorti cette expression mais c’est sans doute à lui qu’elle s’applique le mieux. Venu de la gauche en 2017, il a dynamité cette famille politique pour tenter de reconstruire un « centre » devenu très vite de plus en plus à droite. Aujourd’hui, le parcours touche à sa fin : Macron apparaît presque ouvertement plus proche du Rassemblement National, issu de la droite fascisante et qui en est resté finalement proche sur le fond, que de la gauche rassemblée dans le Nouveau Front Populaire.
    On a beaucoup glosé sur cette dérive du président français, qui pourrait bien donner les clés de l’Etat au parti de Marine Le Pen : mélange d’arrogance hautaine à l’égard de tout ce qui n’est pas lui ou bien cynique calcul électoral voire les deux « en même temps ».
    Mais la personnalité de Macron n’est finalement que l’arbre qui cache la forêt. Il y a bien deux droites en France, comme dans beaucoup d’autres pays européens : la droite libérale et la droite identitaire/autoritaire. La droite libérale gouverne par le changement permanent et sa vision est que le salut du système social capitaliste passe par la transformation continue des conditions de vie et de la technique. Cette vision est opposée à celle de la droite identitaire pour laquelle le retour à un passé mythique sert de référent central.
    Ces deux droites ne s’aiment pas. Il arrive même qu’elles se détestent. Mais au fond du fond, elles partagent la même hostilité à toute revendication sérieuse de plus d’égalité sociale. La droite libérale à la Macron est la préférée des grands patrons. Mais ces derniers comme ils l’ont toujours fait dans le passé (voir la France de Vichy) préfèrent la droite identitaire de Le Pen à une gauche qui serait en mesure des porter cette revendication d’égalité : c’est la grande peur des « partageux » commune aux deux droites, et qui les soude toujours face à la gauche. Sur ce plan, Macron est totalement raccord, il est le parfait baromètre du patronat.

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